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— Misérables roquets ! Pauvres capons de truanderie ! Bonnes femmes ! Votre maître ne vous a donc pas appris à tenir une épée ! Arrière, valets ! Tenez, voici comme on pointe !…

Un homme tomba.

Mais, cette fois, le pourpoint de Pardaillan fut fendu au sein et il sentit une tiédeur de sang couler le long de sa poitrine.

— Sus ! Sus ! vociférait Henri. Il est aux abois.

— À nous la bête ! hurlaient les autres.

Et cela faisait, dans ce boyau obscur, avec les froissements de l’acier, les coups secs des battements, les râles, les jurons énormes, un vacarme indescriptible.

Un coup de pointe blessa le routier au poignet gauche au moment où après s’être fendu à fond sur l’officier, il faisait une retraite du corps. L’officier roula sur le sol qu’il talonna un instant : il était mort ! D’épouvantables rugissements retentirent.


Pardaillan n’avait plus que quatre hommes devant lui.

Mais il était exténué ; sa main gauche le faisait horriblement souffrir ; il dut reprendre l’épée de la droite ; et haletant, il s’appuya de la gauche au mur. Un nuage passait devant ses yeux. Il allait tomber… Il recula encore assez vivement de deux pas pour éviter un coup furieux que lui portait Damville. Mais il fut atteint au genou au même instant par un soldat.

— C’est fini, murmura-t-il en jetant devant lui un regard sanglant. Son épée lui tomba de la main.

Cet instant était celui où il reculait en se soutenant toujours de la main au mur.

Tout à coup, il eut la sensation que ce mur s’entrouvrait, il vit un trou noir béer près de lui, et à bout de forces, presque évanoui, il s’y laissa tomber !…

— Fermez la porte ! vociféra Henri, et laissez-le crever dans cette cave !…

Les soldats obéirent ; la porte fut solidement fermée et verrouillée ; un grand silence se fit alors dans l’hôtel de Mesmes.

C’est en effet dans la cave que le vieux Pardaillan avait roulé — dans cette même cave où son fils s’était trouvé enfermé. En s’appuyant de la main à la porte qui était simplement poussée, il avait ouvert cette porte et s’était laissé tomber, dans un dernier effort de l’instinct vital.

Pardaillan avait roulé le long des marches et était demeuré étendu sans vie sur le sol de la cave. Si le maréchal l’y avait suivi, il n’eût eu qu’à l’achever d’un coup de poignard. Mais Damville ne croyait pas l’enragé aussi atteint qu’il ne l’était. Il redouta les suites de ce combat dans l’obscurité, alors que sa troupe était déjà si réduite, et il s’applaudit de la bonne inspiration qu’il avait eue en faisant enfermer Pardaillan dans cette cave transformée en tombeau.

« Dans quelques jours, pensa-t-il, il n’y aura plus là qu’un cadavre que j’enverrai jeter à la Seine, et tout sera dit ! »

Le vieux Pardaillan, cependant, ne bougeait plus. Il perdait beaucoup de sang par ses blessures, et en somme, il risquait de mourir là d’épuisement. Mais ces vieux reîtres avaient l’âme chevillée au corps. Au bout d’une heure d’évanouissement, le corps étendu au bas de l’escalier commença à remuer les bras, puis les jambes ; puis la tête se redressa ; puis, enfin, ranimé par la fraîcheur de la cave, le routier se souleva, s’assit, passa ses mains sur son front et demeura longtemps dans cette position, sans pouvoir rassembler ses idées, avec le seul étonnement de se retrouver dans ce trou noir…

Enfin, il put penser. Et sa première pensée fut :

« Tiens ! je ne suis pas mort ? »

La deuxième pensée qui put se formuler au bout de quelques minutes dans son cerveau affaibli, fut celle-ci :

« À moins, toutefois, que je ne sois enterré. »

L’horreur de cette supposition le galvanisa.

— Par tous les diables ! gronda-t-il. Enterré ou non, il me semble pourtant que je suis vivant !…

Il parvint à se traîner pendant une dizaine de pas, et constata ainsi avec une indicible satisfaction qu’il ne se trouvait nullement dans un tombeau.

— Mais alors, bégaya-t-il, où diable suis-je en ce moment ? Pourquoi y suis-je ? Que fais-je là ?… Mort-Dieu ! que j’ai donc soif ! Jamais soif aussi assoiffée ne dessécha un gosier chrétien !… À boire, par l’enfer ! à boire, par l’enfer, à boire, ou j’enrage !…

En grommelant ainsi des paroles où il avait un peu de délire, le blessé continuait à ramper sur le sol humide, « à quatre pattes ». Soudain, l’une de ses mains se posa sur quelque chose de frais, de poussiéreux, de rond, ou plutôt de cylindrique.

— Qu’est-cela ? grogna-t-il.

Il voulait saisir la chose, et aussitôt, il y eut comme un écroulement ; il sembla à Pardaillan que du verre se cassait, et l’instant d’après, il s’aperçut qu’un liquide quelconque mouillait ses jambes.