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précipita la dague haute sur Pardaillan…

Henri de Montmorency souffrait en ce moment même plus qu’il n’avait souffert à la minute où il avait vu le héraut de François clouer le gant à sa porte : souvent le rappel d’une injure fait plus de mal que l’injure elle-même.

En outre, le soupçon que les Pardaillan avaient découvert la retraite de Jeanne de Piennes lui était insupportable. Dès le début de cet entretien, il était résolu à se débarrasser du père en attendant qu’il pût se débarrasser du fils.

Le reproche de Pardaillan fut le prétexte à la tuerie.

Le vieux routier n’avait pas fini de parler que, brisant d’un geste violent la chaînette qui supportait sa dague, il se jeta sur lui.

Pardaillan l’attendit de pied ferme. Le bras du maréchal qui s’était levé ne retomba pas sur lui, il le saisit au poignet ; il tordit ce poignet, le broya, l’arme s’échappa. Henri jeta un hurlement.

— Monseigneur, dit Pardaillan, je pourrais vous tuer, c’est mon droit ; je vous laisse vivre pour que vous puissiez vous laver de l’outrage de Montmorency ; remerciez-moi !

Il était effrayant, tout pâle, les poils de sa rude moustache hérissés, les yeux étincelants, immobiles.

— C’est toi qui vas mourir ! rugit Henri. À moi ! À moi !…

— Bataille, donc ! fit Pardaillan qui, d’un geste large, tira sa rapière.

À ce moment, tout ce qui restait de monde dans l’hôtel se ruait dans la pièce aux cris du maître. Pardaillan vit qu’il avait devant lui six hommes armés, sans compter le maréchal.

— Sus ! Sus ! hurla Henri, pas de quartier !

— À mort ! À mort ! répétèrent les cinq soldats et l’officier qui les conduisait.

Pardaillan, traçant un vaste demi-cercle avec sa rapière, bondit vers la gauche de la pièce.

— Ici, la meute ! cria-t-il.

Les assaillants se ruèrent de ce côté, dégageant ainsi la porte. C’est ce que voulait Pardaillan. En un clin d’œil, il plaça sa rapière entre ses dents solides comme des dents de loup, empoigna un énorme fauteuil et le lança à toute volée sur les assaillants qui refluèrent vers le fond.

Au même instant, il remit l’épée à la main et se jeta vers la porte qu il franchit en poussant un éclat de rire.

En quelques bonds, Pardaillan, poursuivi par la meute enragée, atteignit le bas de l’escalier. Là il y avait une porte qui ouvrait cette cour. Il fondit sur elle pour l’ouvrir.

— Malédiction ! gronda-t-il.

La porte était fermée !

— Sus ! Sus ! Nous le tenons ! vociféra l’officier.

— Tue ! Tue ! hurlait Henri de Dam ville.

Au bas de l’escalier, vers la gauche, commençait le couloir qui aboutissait aux offices et aux derrières de la maison ; de là, Pardaillan pouvait sauter dans le jardin, et là, il eût été sauvé… mais du premier coup d’œil, il vit que la porte qui ouvrait sur le vestibule de l’office était fermée.

Il était pris dans ce boyau, avec, devant lui, sept furieux solidement armés, derrière lui une porte infranchissable.

Alors il calcula ses chances. Les assaillants ne pouvaient plus l’envelopper ; ils ne pouvaient marcher que trois de front, et encore, en se gênant.

— À la rigueur, dit-il entre ses dents, je puis arriver à les tuer l’un après l’autre.

C’est ce qu’il résolut, n’ayant plus que cette alternative, ou de faire ce grand carnage, ou de mourir.

Les coups, cependant, pleuvaient sur lui. Il les parait, ripostait à chaque seconde, sa longue rapière s’enfonçait dans le tas ; un homme était blessé ; les autres poussaient d’effroyables hurlements, car on ignorait encore l’art plus élégant de se battre en silence.

Pardaillan ne reculait que d’un pas que lorsqu’il y était absolument forcé.

Il se rendait bien compte, en effet, que s’il se laissait acculer à la porte du fond du couloir, il serait tué là sans rémission, sans défense possible. Tant qu’il avait du champ, il pouvait au contraire se défendre, préparer ses coups, parer ceux qu’on lui portait.

Une épée l’atteignit à son épaule et déchira son pourpoint.

La blessure saigna légèrement.

Pardaillan grogna un juron.

Il avait déjà reculé de cinq pas ; il n’y avait encore que trois de ses assaillants blessés, l’un d’eux, il est vrai, hors de combat, étendu à terre, tout râlant.

À ce moment, il sentit une étrange pesanteur à sa main droite : c’était la blessure que lui avait faite d’Aspremont qui se rouvrait.

Il saisit son épée de la main gauche en se disant :

— Je crois que je suis hallali.

Mais en même temps, il continuait à hurler, selon la méthode d’alors, qui était aussi jadis celle des héros d’Homère :