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ma mère de près !) songea-t-il avec une terrible amertume.

— Que faites-vous ! s’écria Pardaillan.

— Venez donc, monsieur le comte ! dit Maurevert.

Le chevalier essaya de retenir Marillac. Celui-ci, en proie à un trouble qui paraissait incompréhensible, saisit son ami dans ses bras comme pour lui dire un suprême adieu, colla sa bouche à son oreille, et d’une voix palpitante où s’exhalaient toutes les rancœurs, toutes les tristesse accumulées dans son âme, il prononça :

— Mon cher, je vous dis adieu, et je vous bénis pour tout le bonheur que vous m’avez donné pour votre charmante amitié…

— Ah, ça ! murmura Pardaillan, devenez-vous fou, mon ami ?

— Non ! Car j’espère bien que Catherine de Médicis va me faire assassiner, et ce sera beau, voyez-vous !

— Par la mort-Dieu ! je ne vous quitte pas !

— Tu vas me quitter, Pardaillan ! Car là où je vais, tu ne peux venir ! Car je vais là où le destin me conduit fatalement. Quand je songe, je vois que tout s’est merveilleusement enchaîné pour me faire aboutir à ce coupe-gorge…

— Trop merveilleusement ! dit Pardaillan, dans l’esprit de qui l’image d’Alice flotta un instant. Comte, je ne vous quitte pas. Vous ne serez pas tué, ni moi. Par Pilate, nous verrons bien !…

— Pardaillan, ce n’est pas le comte de Marillac qui va chez la reine-mère… oui, je dis bien, la reine-mère… C’est Déodat ; c’est l’enfant ramassé sur les marches d’une église ! Maintenant, veux-tu comprendre d’un mot toutes les tristesses qui ont pu te paraître étranges ? Veux-tu savoir pourquoi, sachant que je vais être assassiné, je vais chez la reine ?…

— Oui, oh ! oui !… fit Pardaillan qui haletait.

— Eh bien, c’est parce que je veux connaître ma mère ! Et que Catherine de Médicis… c’est ma mère !…

Et, s’arrachant de l’étreinte de son ami, le comte fit un signe à Maurevert et s’élança rapidement dans la direction du Pont de Bois. Maurevert le suivit non sans avoir essayé une dernière fois de dévisager Pardaillan dont il avait tâché vainement d’entendre la voix et de surprendre l’entretien.

Le chevalier demeura quelques minutes comme étourdi.

— Déodat, fils de la Médicis ! murmura-t-il.

Puis, reprenant son sang-froid, il s’élança à son tour vers la maison qu’il connaissait bien, décidé à en surveiller les abords tant que le comte y serait, et à y pénétrer au besoin, s’il tardait à en sortir.

Et tout en courant, tout en arrangeant son dispositif de bataille avec cet esprit de méthode qui était une de ses grandes forces, une question obstinée se posait dans son esprit :

— Alice de Lux savait-elle que Maurevert guettait Marillac dans la rue ?

En peu d’instants, il atteignit le Pont de Bois.

Les environs étaient discrets et silencieux.

Maurevert et Marillac avaient disparu.

Le chevalier examina un instant la maison mystérieuse où il avait pris contact avec Catherine de Médicis. La maison était muette, sa face toute voilée d’ombres. Et, avec ses fenêtres bardées de fer, sa porte solide, ses toitures aiguës qui dans la nuit prenaient des allures de tourelles, ce logis ressemblait à une forteresse.

— Un Louvre, songea Pardaillan, un Louvre minuscule ; mais plus formidable que l’autre. Car là-bas, dans les vastes salons dorés, un roi faible et malade promène ses inquiétudes passées comme dans un désert peuplé de ces fantômes d’hommes que sont les courtisans. Et ici, la reine, la grande reine, comme ils disent, élabore dans un tragique silence de pensées d’où peut jaillir la foudre… Et cette reine, mère de François qui mourut d’une étrange maladie après quelques mois de règne, mère de Charles qui se meurt de quelque mal inconnu, mère de cet Henri d’Anjou, plus femme qu’il n’est homme, mère de cette Marguerite, plus homme qu’elle n’est femme, est aussi la mère de ce Déodat en qui semblent se réaliser la perfection du corps humain, la beauté de l’âme, avec un esprit brillant et de générosités de cœur dignes d’un héros… Cette femme qui a enfanté des êtres si divers, monstres de beauté, monstres de hideur, qui a créé de la force et de la faiblesse, serait donc le type achevé du monstre ?…

Et il se la représentait telle qu’il l’avait vue dans la pièce si simple et si imposante de cette maison, assise dans ce fauteuil à grand dossier de bois noir, toute raide, blanche, souriante d’un sourire aigu, pareille à une image de sainte à qui l’imagier aurait eu la fantaisie de donner un regard démoniaque.

Elle grandissait dans son imagination. Ce n’était plus une femme. Ce n’était plus la reine Catherine. C’était quelque prodigieuse magicienne venue des contrées