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donnaient sur le derrière de la maison. Elles y étaient enfermées à clef. Mais enfin, un hasard pouvait révéler leur présence à Marillac.

Et alors, comment expliquerait-elle cette présence ? Et si la dame de Piennes parlait ? Si elle en appelait à l’aide du comte ? Si de questions en questions, Déodat finissait par comprendre qu’Alice de Lux jouait ici le rôle infâme de geôlière !… Si toute sa vie d’espionne, d’intrigante, de ribaude à la solde de Catherine allait se révéler !…

Mais ce n’était pas tout !

Quand elle y songeait, Alice de Lux se sentait assez experte en mensonge, assez fertile en inventions, assez sûre de la confiance du comte pour, à l’extrême rigueur, franchir ce pas dangereux…

Ce qui était effroyable dans son esprit, ce qui provoquait cette terreur que nous avons signalée, c’était un laconique billet qu’elle venait de recevoir.

On n’a pas oublié que ses conventions avec la reine Catherine l’obligeaient à déposer tous les soirs dans la plus basse fenêtre de la cour construite pour l’astrologue Ruggieri, une sorte de rapport de police. Généralement, elle se contentait de quelques mots vagues tracés d’une écriture contrefaite :

— « Rien de nouveau à dire. »… ou bien « J’ai vu l’homme, tout va bien… »

Ce soir-là, au moment où Alice jetait son rapport, elle se sentit saisir par la main, et dans cette main, on glissa un papier plié de façon qu’il occupât le moins de place possible. Rentrée chez elle en toute hâte, l’espionne déplia le papier, le lut vivement, et son cœur se mit à palpiter. Elle relut avec une attention profonde pour graver dans sa mémoire le termes du billet, puis brûla le papier à un flambeau et en piétina les cendres noires comme si elle eût redouté encore qu’on pût déchiffrer les lignes qu’elles avaient contenues.

Ce billet venait de Catherine de Médicis, mais ne portait aucune signature, aucun signe qui pût laisser deviner qui l’avait sinon écrit, du moins dicté. Il était écrit par une main masculine, d’une écriture renversée.

Voici ce qu’il contenait :

« Retenez l’homme ce soir jusqu’à dix heures. Renvoyez-le à cette heure sans tarder. S’il veut passer la nuit chez vous, trouvez un prétexte ; mais qu’à dix heures, il soit dans la rue ; on veut bien ajouter qu’il ne lui arrivera pas de mal. »

La cynique supposition que le comte voudrait peut-être passer la nuit dans la maison amena une flamme de honte sur les joues d’Alice de Lux, et deux larmes brûlantes à ses yeux. Quant aux derniers mots du billet, ils ne la rassuraient pas !… Si Catherine de Médicis voulait que le comte fût dans la rue à dix heures, c’est qu’elle avait l’intention de le faire attaquer, enlever… que savait-elle ?… toutes sortes de sinistres pressentiments l’assaillaient…

Et lorsqu’elle entendit heurter le marteau, elle n’avait pris encore aucune résolution.

— Le voici ! murmura-t-elle en devenant livide comme si elle ne se fût pas attendue à ce coup de marteau.

Sa résolution fut prise à l’instant.

Coûte que coûte, arrive qu’arrive, elle décida de retenir Marillac toute la nuit s’il le fallait… Et puis elle était si lasse de ces épouvantes, de cette existence où un battement de son cœur l’inquiétait, où un bruit de pas la faisait écouter, palpitante, où il fallait mentir, mentir sans relâche, inventer, combiner de nouveaux mensonges presque à chaque heure du jour, elle était si fatiguée que la catastrophe tant redoutée de la vérité enfin révélée à Déodat lui devenait presque supportable à évoquer… Pourtant, elle n’eut pas le courage de s’élancer au-devant du comte comme elle le faisait d’habitude, et ce fut la vieille Laura qui alla ouvrir.

Quelques instants plus tard, le comte entra dans la pièce où elle se tenait, et elle s’avança si souriante qu’il eût été difficile d’imaginer le drame qui se jouait dans ce cœur torturé.

— Chère Alice, dit le comte, je veux vous présenter le chevalier de Pardaillan que je considère comme un frère ; aimez-le, je vous prie, pour l’amour de moi.

En parlant ainsi, le comte s’effaça et prit par la main le chevalier qui entrait derrière lui.

Alice frémit. Du premier coup d’œil, elle avait reconnu le jeune homme du Pont de Bois, celui qui, après avoir sauvé la reine de Navarre, l’avait accompagnée chez le juif du Temple.

Pardaillan qui, après s’être incliné, relevait la tête, la reconnut aussi à l’instant même. Il y eut chez Alice un moment de poignante angoisse et, dans ce moment, elle arrangea une explication si le chevalier la reconnaissait.

Pardaillan ne fit pas un geste de surprise, et il eut si parfaitement l’air de voir Alice pour la première fois, qu’elle-même s’y trompa.

Aussitôt elle se rassura, du moins en ce qui concernait ce nouveau danger. Elle tendit vivement sa main au jeune