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qui avait fait trembler la royauté. Il était l’héritier direct de ce connétable qui avait porté la gloire des Montmorency à son apogée. Il se conformait de son mieux aux usages que lui avait légués le connétable.

Nous l’avons vu aller au Louvre, dans la pompe d’une véritable mise en scène comme ces époques si noires et si tristes par la pensée, mais si brillantes par les costumes et les coutumes, savaient en organiser.

Nous le voyons maintenant marcher à un combat singulier ; et il y va dans l’appareil convenable.

Il était environ sept heures du soir lorsque le maréchal arriva devant l’hôtel de Mesmes.

À sept heures, c’était à peu près le moment où le soleil se couchait en cette saison ; or, le maréchal avait donné trois jours de réflexion à son frère et il ne voulait pas s’exposer à s’entendre dire :

— Les trois jours ne sont pas écoulés ; il s’en faut de quelques minutes encore.

François attendit donc un quart d’heure pour être tout à fait sûr qu’il était dans son droit jusqu’au bout. Et les passants virent — sans étonnement, d’ailleurs — cette double statue équestre qui semblait garder la porte de l’hôtel. Mais ceux qui reconnurent le maréchal et qui connaissaient la haine qui divisait la famille sans en soupçonner le motif, demeuré à jamais secret, ceux là se hâtèrent de passer, car il n’était pas bon de voir ce qu’il ne fallait pas voir, et les luttes de deux illustres seigneurs comme Damville et Montmorency étaient du nombre de ces choses qu’un homme avisé doit ignorer.

Lorsque François ayant regardé au loin les tours du Temple, vit que le soleil ne les dorait plus de ses derniers rayons, il fit un signe à son écuyer qui, en cette circonstance, remplissait les fonctions de héraut d’armes.

Sans descendre de cheval, l’écuyer sonna du cor.

La grande porte de l’hôtel demeura fermée. Toutes les fenêtres étaient closes. La sombre demeure paraissait abandonnée.

Il y eut un nouvel appel de cor, puis un troisième.

Le silence demeura profond.

Aux environs, quelques têtes se montrèrent un instant à des fenêtres, puis disparurent aussitôt.

Alors, sur un nouveau signe du maréchal, le héraut d’armes mit pied à terre et heurta rudement le marteau de la porte.

Un judas glissa dans sa rainure.

— Qui demandez-vous ? fit une voix.

— Nous demandons, dit le héraut, Henri de Montmorency qu’on appelle duc de Damville.

— Que lui voulez-vous ? reprit la même voix.

— Nous venons lui demander justice pour une injure dont il nous frappa. Que s’il refuse, nous en appellerons au jugement de Dieu.

La porte s’entrebâilla. Un officier aux armes de Damville sortit, se découvrit, s’inclina devant François et dit :

— Monseigneur, je suis fâché d’avoir à vous apprendre une mauvaise nouvelle : l’hôtel est vide depuis hier. Mon maître, Mgr de Damville, sur ordre exprès de Sa Majesté le roi, a dû subitement quitter Paris.

François pâlit et jeta un sombre regard sur l’hôtel.

— Monseigneur, reprit l’officier, que s’il vous plaît vous reposer en cette demeure, je m’empresserai, autant que la circonstance et l’absence de tous serviteurs le permettent, d’y exercer vis-à-vis de vous les lois de l’hospitalité.

François regarda le héraut, qui répondit :

— Nous refusons l’hospitalité offerte.

L’officier, alors se couvrit, rentra dans l’hôtel et referma la porte. Alors le héraut sonna du cor, et par trois fois appela à haute voix Henri de Montmorency, seigneur de Damville.

Puis il mit pied à terre, s’approcha de la grande porte et dit :

— Henri de Montmorency, nous sommes venus te demander raison d’une injure grave. Nous t’avons prévenu que nous serions à ta porte ce soir. Nous déclarons que tu as fui lâchement, nous te déclarons félon, et nous te laissons notre gant en signe de défi, tant est juste notre cause !

À ces mots, François déganta sa main droite.

Le héraut prit le gant ; dans la sacoche de son cheval, il prit un marteau et un clou ; et s’approchant alors de la grande porte de l’hôtel, il y cloua le gant.

Puis il remonta à cheval.

Quelques minutes encore, François de Montmorency attendit pour voir si ce suprême outrage serait relevé par son frère, car il ne doutait pas qu’il ne fût en réalité dans l’hôtel.

Puis, voyant que la porte demeurait fermée, et n’entendant aucun bruit, il se retira.

À ce moment, deux hommes se montrèrent au coin même de cette ruelle où le chevalier de Pardaillan avait tenté son