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— Venez ! dit le maréchal qui, sortant de l’écurie, remonta rapidement à son cabinet, agité, silencieux, tandis que le vieux routier l’examinait en dessous, en souriant dans sa rude moustache grise. Enfin, le duc de Damville se jeta dans un fauteuil, regarda fixement son compagnon, et dit :

— Expliquez-moi tout d’abord votre duel avec Orthès…

Pardaillan qui s’attendait à une autre question, tressaillit. Si fin qu’il fût, il ne devina pas que le maréchal voulait se donner le temps de réfléchir, et répondit :

— Mon Dieu, monseigneur, c’est bien simple : lorsque je suis arrivé ici, M. d’Aspremont m’a regardé et m’a parlé d’une façon qui m’a déplu. Je le lui ai dit. En galant homme qu’il est, il a compris. Aujourd’hui, nous avons trouvé l’occasion de nous exprimer en douceur toute l’estime que nous avons l’un pour l’autre. Et, afin de rendre nos expressions plus piquantes et nos arguments mieux sentis, nous avons laissé la parole aux épées. Je crois qu’en causant trop vivement, M. d’Aspremont s’est mis en sueur… seulement, il a sué rouge ; voilà toute l’affaire, monseigneur…

— Ainsi, pas de haine entre vous ? Une simple querelle, comme m’a dit Orthès ?

— Pas la moindre haine, dit sincèrement Pardaillan.

— Bon. Venons-en donc à Galaor, c’est-à-dire à votre fils. Vous dites que c’est lui qui, si heureusement, me prêta main-forte ?

— La preuve, monseigneur, c’est qu’il m’a donné Galaor en signe de reconnaissance.

— Votre fils, mon cher, est un vrai brave. J’en ai eu aujourd’hui encore une preuve. Vous m’aviez promis de me l’amener.

Le vieux routier réfléchit un instant ; et, pour dérouter entièrement le maréchal, pour demeurer plus fort que lui dans cette minute où de si graves décisions allaient sans doute être prises, il résolut d’employer l’arme la plus redoutable : la vérité.

En effet, les hommes sont si habitués à se mentir les uns aux autres et à considérer le mensonge comme le meilleur moyen de tromper un adversaire, qu’il est facile de les tromper en disant la vérité. Celui qui dit la vérité est peut-être plus impénétrable que celui qui ment avec la plus terrible habileté. Pardaillan, pour cette fois, et tout instinctivement, fut donc sincère.

— Monseigneur, dit-il, j’ai proposé à mon fils d’être à vous : il ne l’a pas voulu parce qu’il est déjà à M. de Montmorency. Expliquons-nous donc une bonne fois à ce sujet. Mon fils, monseigneur, a surpris un redoutable secret, vous ignorez lequel et je vais vous le dire : il a assisté à votre entrevue de l’auberge de la Devinière. Il a donc tout lieu de redouter votre colère ou la terreur de quelqu’un de vos acolytes, monsieur de Guitalens, par exemple. Il est persuadé que