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Pardaillan, son poignard à la main, prit alors une allure plus rapide. Son intention était de passer devant le cabaret sans s’y arrêter, et d’aller se perdre dans le dédale de ruelles qui formait un inextricable lacis entre la nouvelle église Saint-Eustache dont on achevait alors les deux tours carrées et la place de Grève.

Mais au moment où il s’élançait, à l’autre extrémité de la ruelle Montorgueil, il vit s’avancer une troupe du guet que quelque âme charitable avait sans doute appelée.

Le chevalier était pris ! Une légère sueur pointa à la racine de ses cheveux. Comme il hésitait pour savoir s’il essaierait de foncer sur l’ennemi qui était devant lui, un chien courut se jeter dans ses jambes.

— Pipeau ! s’écria Pardaillan. C’est donc que mon père est là !…

Et il se jeta dans le cabaret en criant :

— Alerte ! Je suis poursuivi…

Le vieux Pardaillan bondit jusqu’à la porte. Un coup d’œil à droite et à gauche le convainquit de la gravité de la situation : à gauche, une troupe, à droite, une autre bande, sur le pas de toutes les portes, des commères, des badauds, une rue en révolution !

Fermer la porte et la verrouiller fut pour le vieux routier, l’affaire d’un instant.

À la même seconde, des coups violents furent frappés.

— Ouvrez ! hurlait-on.

— Barricadons ! fit le vieux Pardaillan.

— Au nom du roi ! clamait le sergent d’armes.

Les tables, les escabeaux, s’entassaient à l’intérieur, devant la porte. Du dehors, les coups devenaient plus furieux.

— Nous le tenons ! vociférait une voix que le chevalier reconnut pour être celle de Maurevert.

— Encore cette armoire ! firent les deux assiégés en poussant un pesant bahut qui compléta la barricade.

— Nous en avons pour une heure, ajouta le vieux.

— En une heure, on peut brûler Paris, répliqua le jeune homme.

— Catho ! Catho ! appela le routier.

La grosse Catho était là qui assistait sans trop d’émotion à la bagarre. Et il faut dire que, si elle eut quelque émotion, ce fut plutôt à la pensée que ce jeune homme, si brave et si beau, allait être emmené par les gens du roi.

— Me voici, monsieur, dit-elle.

— Un mot. Un seul. Es-tu contre nous ? Es-tu avec nous ?

— Avec vous, monsieur, répondit Catho paisiblement.

— Tu es une bonne fille, Catho. Je te revaudrai cela.

Et le vieux Pardaillan glissa ce mot dans l’oreille de son fils :

— Si elle avait pris parti pour eux, je la tuais raide.

Le chevalier approuva d’un signe… Ah ! que voulez-vous, lecteur ! Mettez-vous à sa place !…

— Que t’arrive-t-il ? reprit le routier.

— Je vous raconterai la chose, monsieur. C’est toute une histoire assez longue.

M. de Pardaillan père eut ce mot :

— Catho, du vin !… Raconte, mon fils, nous avons le temps !

Et, tandis que des coups sourds ébranlaient la porte, tandis qu’on entendait au-dedans les aboiements féroces de Pipeau, et au-dehors les hurlements du sergent et les cris de quelques femmes qui s’évanouissaient ou faisaient semblant de s’évanouir, le chevalier, en quelques mots brefs et calmes, en un récit méthodique et tranquille, raconta la scène du Louvre.

— Il y a rébellion contre le roi ! vociférait le sergent.

— Que diable allais-tu faire dans cet antre ? dit le vieux Pardaillan avec un geste de mauvaise humeur. Je t’avais pourtant bien recommandé…

La porte, sous un coup violent, se fendit du haut en bas.

— Catho ! fit le routier.

— Me voici, monsieur.

— Tu as de l’huile, n’est-ce pas, ma fille ?

— De la très bonne huile de noix. J’en fis venir trois jarres, il y a huit jours.

— Bon ! Y a-t-il une cheminée, là-haut ?

— Oui, monsieur.

— Où est ton huile ?

— À la cave, monsieur.

— Les clefs de la cave…

— Les voici !

— Catho, tu es une bonne fille. Monte là-haut et allume un grand feu, un bon feu, tu entends, un feu à faire griller un cochon ou à faire rôtir un moine… Ainsi !…

La grosse Catho s’élança, saisit des fagots et monta au premier.

— À nous ! fit M. de Pardaillan père.

Et, suivi du chevalier, il se précipita dans les caves. Dix minutes plus tard, les trois jarres d’huile étaient en haut, plus tout ce qu’il y avait de pain dans l’auberge,