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de l’hôtel de Montmorency qu’il ne tarda pas à atteindre.

Cette fois, le Suisse gigantesque ne fit aucune difficulté pour l’introduire, bien qu’il lui gardât une certaine rancune — non pas tant des blessures que le chien du chevalier lui avait faites, blessures si mal placées qu’elles l’empêchaient de s’asseoir — que du remède héroïque donné si généreusement par le maître du chien. On se rappelle, en effet, que le chevalier avait conseillé au digne Suisse de se frotter avec du vin mêlé de gingembre ; le gingembre avait transformé la brûlure des coups de crocs en brasiers ardents.

Le maréchal arriva une demi-heure après le chevalier, et commença par le serrer dans ses bras en lui disant :

— Ah ! mon cher enfant, votre présence d’esprit m’a sauvé la vie, et l’a sauvée sans doute à d’autres personnages…

— Monseigneur, fit le jeune homme, je ne sais de quoi vous voulez parler… J’ai déjà oublié, ajouta-t-il avec un sourire, qu’il existe dans Paris une rue de Béthisy et qu’il y a dans cette rue un hôtel où l’on se réunit la nuit…

— Aussi généreux que brave ! fit le maréchal. Mais comment vous êtes-vous tiré de la bagarre ? Pourquoi la reine Catherine vous a-t-elle accusé ?…

— Sa Majesté me veut mal de mort parce que je n’ai pas voulu tirer l’épée contre un gentilhomme qui me fait l’honneur d’être mon ami. Vous le connaissez, c’est le comte de Marillac… Quant au duc d’Anjou, il est vrai que je l’ai quelque peu malmené certain soir où il venait rôder de trop près sous les fenêtres de deux personnes qui logeaient alors rue Saint-Denis…

Le maréchal pâlit.

— Vous pensez donc, gronda-t-il, que le frère du roi…

— Je vous l’ai dit, monseigneur, et c’est la première piste que je vous avais indiquée pour retrouver les deux nobles dames que nous recherchons.

Le chevalier jeta un regard en dessous au maréchal, pour voir comment il accueillerait ce nous.

François de Montmorency, son front dans une main, paraissait méditer sur cette voie qui s’offrait à ses recherches.

— Non ! fit-il en secouant la tête. Ce ne peut être Anjou… Mon frère seul est capable d’avoir médité et exécuté cette infamie. C’est à lui qu’il faut que j’en demande raison…

Et tendant la main au chevalier :

— Ainsi, dit-il, c’est pour les défendre que vous vous êtes exposé à la colère de ces puissants personnages !

— Monseigneur, balbutia le jeune homme, je vous ai dit que j’avais à réparer le mal causé jadis par mon père.

— Et vous allez sans doute quitter Paris ?

— Moi ! s’écria le chevalier dans une explosion d’étonnement et de douleur.

— Songez que vous allez être poursuivi, traqué ! Songez que si on vous trouve, vous êtes perdu !… Après la scène de tout à l’heure au Louvre, vous ne devez rien espérer du roi…

— Je n’espère rien que de moi-même ! dit Pardaillan. Je ne quitterai pas cette ville, monseigneur, et n’ai besoin du secours de personne pour me défendre.

Une flamme d’orgueil et d’audace illumina un instant la physionomie du chevalier, qui continua :

— Ce que je fais, monseigneur, porte sa récompense en soi-même. Jadis, les paladins s’en allaient par monts et par vaux, cherchant les forts et les oppresseurs pour les combattre, cherchant les faibles et les opprimés pour les secourir. Tel était du moins le devoir qu’ils juraient d’accomplir le jour où on leur mettait les éperons aux talons et la lance au poing ! Il me convient d’imiter ces hommes. Cette attitude me plaît, de préférence à toute autre… Je vais donc mon chemin droit devant moi, et je sais parfaitement qu’il peut m’arriver de rencontrer sinon plus brave, du moins plus fort que moi, et de succomber… D’ailleurs, vous pouvez m’en croire, si je perdais la vie, monseigneur, je ne perdrais pas grand’chose !

Le maréchal, pour la première fois, soupçonna quelque grand et secret chagrin dans le cœur du chevalier.

Il regardait avec un mélange d’admiration et d’attendrissement ce jeune homme qui disait de telles choses avec une telle simplicité. Car il n’y avait pas l’ombre de forfanterie dans l’attitude du chevalier. Il se montrait tel qu’il était. Seulement, il ignorait sans doute lui-même que sa grande force lui venait d’avoir, par avance, sacrifié sa vie, et que ce sacrifice lui-même n’était qu’une forme de son amour désespéré.

En effet, de plus en plus, il comprenait la distance énorme qui le séparait de Loïse et des Montmorency.

— Monseigneur, reprit-il tout à coup, comme s’il eût eu à cœur de changer le cours de la conversation, puis-je vous demander ce qui est résulté de votre entrevue avec le maréchal de Damville ?

— Mon frère nie ! répondit François d’une voix sombre.