Page:Lectures romanesques, No 152, 1907.djvu/15

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Catho ! Catho ! vociféra-t-il en entrant dans le bouge.

Catho, c’était l’hôtesse de ce cabaret.

Ancienne ribaude, fort achalandée au temps de sa jeunesse et de sa beauté, elle avait été l’une des reines de la Cour des miracles jusqu’au jour où la petite vérole l’ayant affreusement défigurée, elle avait dû renoncer à l’honorable métier qu’elle exerçait avec un zèle et une ardeur qui lui avaient valu de réaliser quelques économies.

Ces économies, elle les employa à fonder l’hôtellerie du Marteau qui cogne. Car ce bouge portait ce nom prétentieux d’hôtellerie : nous croyons avoir dit que l’hôtesse exagérait volontiers ses vocables. Quant à ce titre bizarre de Marteau qui cogne, c’était tout simplement un souvenir du dernier amant de Catho, qui la battait comme plâtre, et que, selon sa manie de métaphores, elle avait comparé à un marteau dont elle eût été l’enclume. En sorte que l’enseigne du bouge, ou de l’hôtellerie, n’était au fond qu’un hommage rétrospectif rendu aux biceps et à la poigne de l’amant en question, truand quelconque sur lequel nous ne possédons pas de renseignements.

Grossie, mal vêtue, mal peignée, couturée par la maladie contre laquelle on ne possédait pas les remèdes qui la rendent aujourd’hui presque bénigne, telle qu’elle était, Catho n’en avait pas moins bon cœur, et même de l’esprit : la preuve, c’est qu’elle refusa toujours de se marier. Car, chose étrange, elle que personne n’eût voulut épouser quand elle était si jolie, trouva des maris à la douzaine du jour où elle devint patronne d’un cabaret, ce qui lui supposait quelque argent.

Si la Devinière était fréquentée par des officiers, des vicomtes et de nobles spadassins qu’attirait la renommée des fameux pâtés d’alouette, la clientèle du Marteau qui cogne se composait de truands, capons, francs-bourgeois et autres gens, tous en délicatesse avec le guet royal et le guet de la ville. Catho qui était à sa façon une bonne hôtesse, avait gardé le pieux souvenir de ses anciennes fréquentations ; elle protégeait ses clients, les cachait, et n’était jamais aussi heureuse que les jours où elle pouvait jouer un bon tour à messieurs du guet, — ce dont le lecteur la blâmera ou la louangera selon son humeur, mais ce dont nous ne voulons rien dire, nous étant imposé une fois pour toutes la plus stricte impartialité pour loi principale de nos récits : en sorte qu’à défaut d’autre originalité, ils auront au moins celle-là !…

Pour en revenir à Catho, aux appels furieux de Pardaillan, elle descendit un escaler de bois en criant :

— Bon ! bon ! Est-ce de l’hydromel qu’il vous faut ? Du vin ? De l’hypocras ?… Ah ! c’est vous !…

— Mon fils !… Ce jeune homme que je t’avais confié !…

— Eh bien ?… demanda Catho.

— Eh bien ! qu’est-il devenu ?… Où est-il ?…

— Ma foi, il a dormi comme un moine : puis il est parti, et n’est pas de retour encore…

Le vieux routier bouillait d’impatience ; mais il était évident que Catho ne pouvait lui fournir aucun renseignement. Il prit donc le parti d’attendre et se jeta sur un escabeau en grommelant :

— Donne-moi donc de quoi faire une mesure d’hypocras, et de quoi sécher cette égratignure.

Quelques minutes plus tard, Catho plaçait devant Pardaillan du vin, du sucre candi, de l’ambre, de la canelle, du musc et des amandes. Puis, une infusion de vin chaud mêlé d’huile et de plantes diverses.

Le vin chaud mêlé d’huile où des simples plantes avaient bouilli était pour panser la plaie de sa main droite : blessure légère, ce qu’il constata en remuant les doigts l’un après l’autre.

Le vin froid, le sucre candi, l’ambre, la canelle, le musc et les amandes étaient pour l’hypocras que Pardaillan se mit à fabriquer avec la minutie, la science et la patience d’un gourmet consommé.

Cependant, il tenait les yeux fixés sur la porte qu’il dévorait du regard, et grommelait :

« Il lui arrivera malheur ! Pourquoi diable se mêle-t-il de ce qui ne le regarde pas ? Que diable allait-il faire au Louvre ?… Ah ! je donnerais le bras droit que M. d’Aspremont a failli me faire perdre pour que le chevalier perde, lui, cette désastreuse manie de vouloir du bien aux gens ! Ah ! la jeunesse !… »

Le vieux Pardaillan avait achevé la préparation de son hypocras et commençait à déguster cette boisson compliquée, lorsque Pipeau aboya joyeusement et s’élança au dehors : l’instant d’après, le chevalier entra en courant, et apercevant son père :

— Alerte ! Alerte ! Je suis poursuivi !

En quittant le Louvre de la façon qu’on a vue, le chevalier de Pardaillan, après un détour, ayant constaté que personne n’était à ses trousses, avait pris le chemin