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ainsi que s’appelle le jeune homme en question.

— Mais Pardaillan est vieux, bien qu’alerte. Je le connais : nous devons nous battre.

— Jeune, monsieur le vicomte, tout jeune ! Ah ! Montmorency a de rudes compagnons.

— Mais non ! Il n’était pas avec Montmorency ! Il était avec Damville. Vous avez mal vu, mal compris !

— J’ai parfaitement vu, au contraire. Mais ce que vous dites prouve tout simplement qu’il y a deux Pardaillan. Vous connaissez le vôtre. Je connais le mien, et ce n’est pas d’aujourd’hui. Car c’est lui qui a fait manquer l’affaire du Pont de Bois… mais, suffit ! pour en finir, au moment où le roi donne l’ordre d’arrêter Pardaillan, nous nous élançons tous, Quélus en tête. Mais voilà l’enragé qui brise l’épée de Quélus, qui lui arrache sa toque, qui, dans le tumulte, profère encore des insultes, qui, enfin, saute par la fenêtre et disparaît. Maurevert le tire et le manque… aussitôt, les mignons, d’une part, Nancey et ses gardes, d’autre part, quittent le Louvre pour courir à la recherche du jeune truand et l’arrêter partout où il se trouvera et je vous réponds…

Crucé en était là, de son récit, lorsque la porte du petit cabinet s’ouvrit brusquement, et les quatre convives effarés virent se dresser devant eux le vieux Pardaillan qui, un peu pâle, la moustache hérissée, mais souriant, disait de sa voix la plus polie :

— Messieurs, permettez que je passe, s’il vous plaît. Je suis très pressé.

La table, en effet, faisait obstacle.

— Monsieur de Pardaillan ! s’écria Orthès d’Aspremont ébahi.

Les trois bourgeois considérèrent le routier avec stupéfaction.

— Place donc, par Pilate ! puisque je vous dis que je suis pressé !

En même temps qu’il grondait ces mots, Pardaillan repoussa violemment la table ; les flacons culbutèrent, les plats s’entrechoquèrent ; au même instant, pâle de rage, d’Aspremont sautait sur son épée, mettait flamberge au vent et hurlait :

— Ah ! par la mort-Dieu, si pressé que vous soyez, vous me rendrez raison de l’insulte !

— Prenez garde, monsieur, fit Pardaillan, j’ai l’épée mauvaise quand je suis pressé ! Croyez-moi, remettons la chose !

— À l’instant ! sur-le-champ ! vociféra le vicomte. Dégainez, Monsieur, ou je vous charge !

— Vous n’êtes pas galant, monsieur Orthès, vicomte d’Aspremont ! Soit donc ! Mais, ajouta Pardaillan, les dents serrées, la voix sifflante, vous allez vous en repentir !

Au même instant, les deux adversaires tombaient en garde dans la salle même de l’auberge, tandis que les servantes criaient au feu, que Lubin prononçait d’innombrables oremus, que la belle madame Grégoire s’évanouissait, que Landry criait d’aller chercher le guet, et que les buveurs épars se réunissaient en cercle autour des deux batailleurs.

À peine en garde, d’Aspremont poussa une botte furieuse. Pardaillan poussa un juron, il était blessé à la main, et le sang coulait, ce qui fit que les cris de détresse des servantes se changèrent en hurlements.

Dans la même seconde, le vieux routier sentit ses doigts se raidir et sa main devenir pesante ; l’épée allait lui échapper… il la saisit de la main gauche et se rua sur son adversaire par une série de coups si furieux et si méthodiques à la fois que d’Aspremont en quelques instants, fut acculé au mur après avoir renversé plusieurs tables.

Une dispute dans un cabaret n’était pas chose rare à cette époque où les spadassins pullulaient.

Cependant les vociférations de Landry qui craignait pour sa vaisselle et faisait le geste de s’arracher les cheveux qu’il n’avait pas, les clameurs aiguës des servantes avaient attiré une petite foule devant la Devinière.

Pardaillan, comme nous venons de le dire, avait poussé d’Aspremont contre un mur.

Cela s’était fait si rapidement que les nombreux témoins de cette scène ne virent qu’une série d’éclairs et n’entendirent qu’une série de froissements précipités. Il y eut un dernier éclair, un froissement, et on vit d’Aspremont s’affaisser, rendant un flot de sang ; il avait l’épaule droite traversée de part en part.

Pardaillan, sans dire un mot, rengaina l’épée encore rouge, se précipita au dehors, fendit la foule et se mit à courir.

Dans sa hâte, il avait oublié Pipeau qu’il devait ramener au chevalier. Mais peut-être le chien avait-il éprouvé une instinctive sympathie pour lui car, s’étant par hasard retourné au bout de deux cents pas, Pardaillan le vit qui trottait sur ses talons.

En un quart d’heure, le vieux routier atteignit le cabaret du Marteau qui cogne.