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— Le roi est tout à la paix. Le roi veut qu’on s’embrasse ! Catholiques et huguenots, mécréants et fidèles serviteurs de l’Église doivent se jurer amitié, fraternité, assistance et affection ! Le roi a envoyé un exprès à M. de Coligny ! Le roi a écrit à la reine de Navarre ! Le roi veut marier sa sœur à Henri de Béarn ! Voilà ce que dit le roi, messieurs !

— Bon ! bon ! grogna le vicomte ! nous lui ferons chanter bientôt une autre litanie !

Crucé reprit alors :

— Mais tout cela ne m’aurait pas empêché d’arriver à l’heure. Ce qui m’a retardé, c’est que j’ai voulu voir la fin d’une scène étrange, curieuse, presque incroyable, qui vient de se passer en plein Louvre !

— Voyons la scène, fit Kervier, et si elle est jolie, je la ferai raconter dans un des livres que je vends.

— Hâtez-vous, Crucé, dit alors le vicomte, car j’ai à vous donner des instructions de la part du maréchal.

— Vous savez que je ne suis pas bavard, dit Crucé ; j’aime mieux agir. Si donc, je tiens à vous raconter mon histoire, ce n’est ni pour nous amuser, ni pour la mettre dans les livres de Kervier[1] ; c’est justement que notre grand maréchal s’y trouve mêlé, comme vous allez voir…

— Au fait, on est venu quérir monseigneur de Damville de la part du roi.

— Et savez-vous pourquoi ? reprit Crucé ; le petit Charlot voulait raccommoder Damville et Montmorency, et obliger les deux frères ennemis à s’embrasser ; je vous dis que le roitelet est tout à la paix ! Mais notre grand maréchal a tenu bon, à ce qu’il paraît… Toujours est-il que les deux frères étaient avec le roi, qui avait fait sortir tout le monde de son cabinet. J’ai écouté à la porte, et j’ai surpris des éclats de voix ; malgré tout, je n’entendais pas grand’chose, lorsque voici la reine Catherine, la grande reine qui arrive, traverse l’antichambre. Le duc d’Anjou lui fait observer que le roi donne audience particulière. Elle hausse les épaules et sourit. Si vous aviez vu ce haussement d’épaules et ce sourire !… Bref, elle entre et laisse la porte ouverte. Nous nous approchons tous, Anjou, Guise, Maugiron, Quélus, Maurevert, Saint-Mégrin, et en outre Nancey et ses gardes que la reine avait amenés. Le roi s’émeut. La reine, sans se laisser imposer silence, désigne du doigt un jeune homme qui escortait Montmorency et l’accuse de félonie, lèse-majesté et violences envers le duc d’Anjou. Le roi pâlit, ou plutôt jaunit. Il donne l’ordre de saisir le Pardaillan…

— Comment ! le Pardaillan ! s’écria d’Aspremont en sautant sur sa chaise.

Dans son petit cabinet, le vieux routier avait frémi, et on pense si ses oreilles se dressèrent.

— Mais oui ! continuait Crucé, c’est

  1. Quelques-uns écrivent : Kervoer ou Kerver… Le libraire ne se serait-il pas appelé tout bonnement : Cervier ?… On sait, ou on ne sait pas, qu’il fut cause de l’assassinat du pauvre vieux savant Rârnus. Et nom ou surnom, Cervier lui conviendrait assez. (Note de M. Zévaco.)