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occasion, arrachant quelques poignées de cheveux.

La toque tomba aux pieds de Catherine.

Ce moment même était celui où tous les assaillants, après une seconde d’arrêt, se ruaient sur le chevalier.

Cinq ou six épées lui portèrent des coups furieux et ne frappèrent que le vide.

Son coup fait, Pardaillan, bondissant en arrière, avait sauté sur le rebord de la fenêtre en criant :

— Au revoir, messieurs…

Et il sauta !

La fenêtre était peu élevée.

Mais il y avait un fossé… un fossé plein d’eau, large et profond.

— Si je tombe à l’eau, pensa Pardaillan, je suis à jamais ridicule.

Un autre eût pensé : je suis perdu !

Pardaillan, avant de sauter le fossé qu’il mesura du regard, se ramassa sur lui-même, les muscles si convulsés que les veines de son front se gonflèrent sous l’effort. Il eut exactement l’attitude du lion qui va bondir.

Ses muscles se détendirent, pareils à de puissants ressorts.

Il sauta à l’instant précis où Maurevert et Maugiron atteignaient la fenêtre et allaient le saisir.

Ils le virent retomber à pieds joints sur le bord opposé du ruisseau, se retourner, tandis que, hurlants, ils montraient le poing, et grave, sans hâte, soulever son chapeau dans un grand geste, puis s’en aller, de son pas souple et tranquille.

— L’arquebuse ! L’arquebuse ! vociféra le duc d’Anjou.

Pardaillan entendit, mais ne se retourna pas.

Maurevert qui passait pour bon tireur saisit une arquebuse toute chargée, ajusta le chevalier.

La détonation retentit.

Pardaillan ne se retourna pas.

— Oh ! le démon ! gronda Maurevert. Je l’ai manqué !…

Et des bateliers qui descendaient la Seine virent avec étonnement cette fenêtre du Louvre à laquelle se montraient cinq ou six gentilshommes penchés, le poing tendu, hurlant d’apocalyptiques menaces.

À ce moment, le chevalier de Pardaillan tournait et disparaissait au coin.

Alors seulement, il se mit à courir.

Les quelques minutes qui suivirent furent ; dans le cabinet royal, pleines de confusion et exemptes d’étiquette, chacun donnant son avis sans écouter celui du voisin.

— Morbleu ! s’était écrié le duc de Guise, c’est le jeune sanglier du Pont de Bois !

Et en lui-même, il pensa :

— Quel dommage qu’il ne veuille pas être à moi ! Mais à qui est-il donc ?

— Qu’on m’en donne l’ordre ! cria Maurevert, et ce soir, cet homme sera au pouvoir de Sa Majesté.

— Vous avez l’ordre ! fit Catherine.

Maurevert s’élança, suivi des mignons, excepté Quélus qui se plaignait de la tête.

En même temps, le roi frappant du poing sur le bras du fauteuil où il s’était assis, grondait.

— Par la mort-dieu, je veux qu’on fouille Paris ! Je veux que le rebelle soit tout à l’heure à la Bastille ! Je veux que son procès commence demain ! Ah ! monsieur de Montmorency, je vous félicite des gens que vous m’amenez !

— Monsieur le maréchal a toujours eu le tort de ne pas surveiller qui il fréquente, dit Catherine d’une voix miel et fiel. Le maréchal vient rarement au Louvre. Il choisit ailleurs ses amis…

Henri de Damville sourit, il triomphait.

François laissait passer l’orage.

— M. de Montmorency fréquente les ennemis du roi, dit rageusement le duc de Guise.

— Prenez garde, duc ! répondit François ; je puis vous répondre, à vous qui n’êtes ni la reine ni le roi…

Et tout bas, en le touchant du bout du doigt à la poitrine, et en le regardant dans les yeux, il ajouta :

— Ou du moins, pas encore, malgré vos désirs !

Guise, épouvanté, recula.

— Sire, reprit Catherine, ce chevalier de Pardaillan m’a insultée dans une circonstance que je raconterai à Votre Majesté. Il a osé porter les mains sur votre frère… Est-ce vrai, Henri ?

— Ce n’est pardieu que trop vrai ! répondit le duc d’Anjou d’une voix nonchalante, en lissant sa barbe rare avec un peigne.

Et se tournant vers Quélus :

— Comment va ta pauvre tête, mon ami ?

— Monseigneur, mal, très mal… Ce truand m’a arraché toute une poignée de cheveux…

— Rassure-toi ; je te donnerai d’un onguent qui est souverain, c’est ma mère qui l’a fait faire exprès pour moi.