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frissons convulsifs, examinait d’un œil sombre « la blessure » faite au peuplier. Il remit brusquement l’arquebuse dans un coin, et dit gravement :

— Plaise au ciel que nous n’ayons jamais à tirer sur des peupliers vivants !…

Les courtisans s’inclinèrent, soudain silencieux. Et Charles IX appelant le vieux Ronsard qui causait avec Dorat, assis à l’écart, lui demanda :

— Et vous, qu’en pensez-vous, mon père ?

Il l’appelait ainsi par affection, et aussi pour accorder au poète une sorte de distinction spéciale.

Il fallut répéter la question à Ronsard qui, comme on sait était parfaitement sourd, à ce point qu’il avait à peine entendu la détonation. On lui montra l’arquebuse, le peuplier, et lorsqu’il eut enfin compris la question :

— Je dis, sire, que c’est grand pitié de voir estropier ainsi un fils de la nature. Ce peuplier saigne, il pleure ; n’en doutez pas, sire, et il se demande avec tristesse quel mal il vous a fait pour être ainsi traité.

— Bon ! ricana Henri de Guise, voilà le poète qui veut nous faire croire à l’âme des plantes. Mais c’est une hérésie, cela !

Ronsard n’entendit pas ; mais il comprit l’intention ironique de la physionomie de Guise ; les touffes blanches de ses sourcils se hérissèrent. Et il gronda :

— J’en dirai autant du chasseur qui tue le cerf ou le daim : c’est un crime. Et quiconque peut, pour son plaisir, tuer un animal inoffensif dont les beaux yeux si doux demandent grâce en vain, celui-là peut aussi bien tuer un homme. Le chasseur est naturellement féroce. En vain couvre-t-il sa férocité d’un vernis superficiel que lui donne l’éducation ; s’il tue, c’est qu’il a l’instinct du meurtre…

Ces paroles prononcées devant un roi chasseur ne laissaient pas que d’être hardies.

Mais Charles IX se contenta de sourire en murmurant :

— Poète !…

D’ailleurs, à ce moment même, l’attention générale fut détournée par l’entrée du valet de chambre du roi, sorte de personnage officiel qui, à l’occasion, servait d’introducteur.

Le valet s’arrêta à deux pas du roi.

— Qu’y a-t-il ? demanda Charles IX.

— Sire, monsieur le maréchal de Montmorency est là qui sollicite l’honneur d’être introduit auprès de Votre Majesté.

— Montmorency ! s’écria Charles IX comme s’il n’eût pu en croire ses oreilles. Il aura entendu parler de la grande paix qui se fait. Et il veut cesser de bouder. Eh bien, qu’il entre !

Charles IX s’assit aussitôt dans un grand fauteuil de bois d’ébène sculpté richement. Et tous les assistants debout se rangèrent à droite et à gauche du fauteuil.

Alors, on vit la porte s’ouvrir toute grande, et les quatre pages du Maréchal entrèrent par deux, le poing sur la hanche, et se placèrent deux à droite, deux à gauche de la porte, dans une attitude raidie.

Puis le maréchal fit son entrée, suivi du chevalier de Pardaillan.

François de Montmorency s’arrêta à trois pas du fauteuil et s’inclina profondément.

Puis, se redressant, il attendit que le roi lui adressât la parole.

Charles IX contempla un instant en silence la noble tête du maréchal, campé dans une attitude de force et de dignité. Chétif et de santé délicate, il n’admirait pas sans amertume la haute taille et les larges épaules de son visiteur.

Les courtisans présents attendaient, pour déraidir leurs attitudes, que le roi eût parlé, prêts à sourire à Montmorency, ou prêts à l’insolence, selon que le maître l’accueillerait bien ou mal.

Seul, Henri de Guise fixait sur le maréchal un regard dédaigneux et presque haineux.

— L’ami des parpaillots ! avait-il ricané à voix basse en le voyant entrer.

— Soyez le bienvenu, monsieur le maréchal, dit enfin Charles IX. Depuis si longtemps que vous avez déserté la cour de France, on pouvait craindre que vous ne fussiez mort ; et parfois nous nous demandions si c’était bien le connétable votre père qui avait péri à Saint-Denis, ou si ce n’était pas vous… Je vous vois heureusement bien vivant et bien portant.

Ayant satisfait sa petite rancune par ces railleries anodines, Charles IX ajouta d’un ton plus sérieux :

— L’essentiel est que vous êtes là et que vous nous revenez enfin. Encore une fois, soyez le bienvenu.

Alors les courtisans, sauf Guise, adressèrent au maréchal leurs plus charmants sourires et un murmure de joie parcourut l’assistance, comme s’ils eussent éprouvé une inconcevable allégresse de ce retour.

— Sire, dit Montmorency, je suis venu supplier Votre Majesté de m’accorder audience.

— Vous l’avez… Parlez.