Page:Lectures romanesques, No 136, 1907.djvu/20

Cette page n’a pas encore été corrigée

éteints par l’épouvante portée à son paroxysme.

— Et qui me garantit que vous feriez ça ? balbutia-t-il.

— Monsieur, s’écria le chevalier, regardez-moi. Je vous jure sur ma tête que si vous me faites sortir, cette lettre ne parviendra pas au roi. Puissé-je être foudroyé si je mens !… Et maintenant, écoutez : ceci est votre dernière chance, je ne vous dirai plus rien : si vous ne me relâchez, le roi que je sauve me fera bien relâcher, lui ! Qu’est-ce que je risque ? De rester ici un jour, deux jours au plus… Tandis que vous… si vous ne me faites sortir, vous êtes un homme mort… Adieu, monsieur.

Sur ce mot, Pardaillan se retira dans un angle du cachot.

Guitalens demeura quelques minutes effondré sur l’escabeau, faisant d’incroyables efforts pour ressaisir sa pensée vacillante. Le coup qui le frappait était vraiment terrible ; il se voyait condamné à mort ; et quelle mort ! quelque supplice effroyable briserait sans doute son corps avant qu’il ne se balançât au bout de l’une des cordes de Montfaucon !

En cet instant, avec l’étrange vitesse de la pensée, avec l’extraordinaire précision qu’acquiert l’imagination à de certains moments d’angoisse, il reconstitua les supplices auxquels il avait assisté en sa qualité de gouverneur de la grande geôle royale. Il revit les fantômes des malheureux qu’il avait fait attacher au lit de torture, les coins de bois qui s’enfoncent entre les jambes à coups de maillet et qui broient les os, les tenailles chauffées à blanc avec quoi on arrache les mamelles, les pinces qui servent à extirper l’un après l’autre les ongles des dix doigts, l’entonnoir qu’on enfonce dans la bouche du patient et où l’on verse de l’eau jusqu’à ce que le ventre en éclate, les chevaux puissants qui tirent dans quatre directions différentes les membres des parricides… et la mise en scène funèbre de ces spectacles hideux, la foule avide qui ondule et trépigne autour du condamné, les cierges qui brûlent, les psalmodies des moines…

Il revit tout cela !

Et que lui ferait-on, à lui ! à lui, régicide !

Une épouvante sans nom s’empara de lui. Il faut dire que Guitalens n’était pas plus attaché à Henri de Guise qu’il voulait faire couronner qu’à Charles IX qu’il voulait détrôner. Semblable à tous ceux qui conspirent non pour un changement d’état social, non pour une idée, mais pour un changement de personnel gouvernemental, pour des hommes, l’ambition seule l’avait décidé à risquer l’aventure.

Et maintenant, devant la mort, devant le supplice inévitable, il maudissait cette ambition.

Il eût donné tout au monde pour n’être que l’un de ces humbles geôliers qu’il rudoyait tous les jours, ou même l’un de ces prisonniers dont il avait la garde.

Il tourna vers Pardaillan un œil mourant et le vit tranquille, indifférent, comme l’homme sûr de lui.

Alors, il songea que les gardes et les geôliers qu’il avait laissés dans le corridor allaient s’étonner de sa longue entrevue avec un prisonnier, le soupçonner peut-être !

Et pourtant, il ne se décidait pas. Sa volonté était paralysée. Il lui semblait que jamais il ne pourrait se lever de cet escabeau.

Soudain, un bruit sonore, triste, avec un tintement prolongé, retentit dans le corridor.

Guitalens se redressa, les yeux exorbités, les cheveux hérissés, avec un gémissement sur ses lèvres tordues, avec cette effrayante pensée :

« Je suis découvert… on vient me chercher !… »

Cependant, le silence, de nouveau, pesa sur cette scène de drame qui se déchaînait dans une conscience humaine.

On ne venait pas chercher Guitalens. Il n’était pas découvert.

Simplement, un geôlier avait laissé tomber son trousseau de clefs sur les dalles du corridor.

Pardaillan, qui affectait une belle indifférence tranquille, avait suivi du coin de l’œil sur la physionomie de Guitalens les progrès de la terreur et de l’angoisse.

Il attendait avec une profonde anxiété l’aboutissement fatal de la scène.

Ou Guitalens aurait assez peur pour le mettre en liberté.

Ou cette même peur, poussée au paroxysme, le paralyserait.

« En ce dernier cas, songeait-il, je suis un homme perdu. Si, dans cinq minutes, cet homme n’est pas convaincu qu’il ne peut se sauver qu’en me sauvant, il va rentrer chez lui et attendre les événements. Il tremblera huit jours, quinze jours, un mois… puis, quand il verra que j’ai menti, que je ne l’ai pas dénoncé, ou même quand il se dira que, l’ayant dénoncé, le chien a pu perdre le papier révélateur, alors il reprendra courage et se vengera : je serai jeté dans quelque souterrain qui deviendra une tombe ! »

La chute des clefs le fit violemment tressaillir, lui aussi.

Et il allait marcher sur Guitalens, se