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Et il se mit à courir follement autour de son cachot ; le condamné à qui on apporte sa grâce éprouve de ces joies puissantes où le corps éprouve le besoin de se démener, de crainte que le cerveau n’éclate.

Ce fut ainsi que le geôlier le trouva.

— Eh bien, ce papier ? fit-il sans conviction.

Car, de plus en plus, il était persuadé que le prisonnier était devenu fou.

— Demain matin ! fit Pardaillan.

Le geôlier renouvela la provision d’eau, déposa sur la cruche la ration de pain et se retira.

Aussitôt, Pardaillan saisit l’une des deux feuilles de papier qui lui avaient été remises et se mit à écrire une dizaine de lignes.

Alors, il plia soigneusement le papier et le cacha dans son pourpoint.

Cela fait, à coups de talon, il brisa l’un des carreaux qui dans un angle du cachot remplaçaient les dalles, choisit un morceau assez lourd de ce grès et le cacha soigneusement dans son pourpoint.

Alors, il s’étendit sur sa paille, ferma les yeux et se tint immobile pour se forcer à la tranquillité, et aussi pour achever d’élaborer son plan.

Il passa dans cette position le reste de la journée et toute la nuit ; mais s’il eut constamment les yeux fermés, il ne dormit pas un instant ; s’il garda une immobilité de statue, sa pensée bouillonnait.

Le lendemain matin, Pardaillan, très calme et très froid, en apparence, prit la feuille de papier qui lui restait, c’est-à-dire celle sur laquelle il n’avait rien écrit.

Il la roula autour du morceau de carreau qu’il avait brisé, monta sur l’escabeau, et le cœur battant, reprit sa place à la fenêtre, ou plutôt à la lucarne.

Tout de suite, son regard tomba sur Pipeau qui, lui aussi, montait sa faction, mélancolique et fidèle.

— C’est le moment ! murmura Pardaillan avec un frisson d’angoisse dont il ne fut pas maître.

Et d’une voix éclatante, il appela :

— Pipeau !…

De l’endroit où il se trouvait, il pouvait entrevoir un coin de la porte d’entrée. Au cri qu’il poussa, il vit les sentinelles lever la tête.

— Cela marche ! gronda-t-il.

Et avec plus de force encore, il cria :

— Pipeau ! Attention !…

Au même instant, prenant une légère reculée, il lança violemment dans l’espace un morceau de carreau enveloppé de son papier blanc.

L’instant qui suivit fut pour lui une seconde d’effroyable angoisse. Livide, la sueur au front, il vit le papier rouler sur le sol, Pipeau le saisir, les gardes se précipiter à la poursuite du chien.

Et ce fut seulement lorsqu ‘il les vit revenir qu’il descendit de l’escabeau.

Il s’assit, passa les deux mains sur son front et murmura :

— Si le chien a lâché le papier devant les gardes, je suis perdu !

Sa liberté, son amour, sa vie se jouaient sur un coup du hasard…

Bientôt, un bruit de pas précipités retentit dans le corridor.

Pardaillan était pâle comme un mort.

La porte s’ouvrit violemment : le gouverneur apparut, entouré de gardes ; Pardaillan se suspendit pour ainsi dire à ses lèvres et attendit ses premières paroles avec une anxiété voisine de la folie.

— Monsieur ! gronda le gouverneur, vous allez me dire ce que contenait la lettre que vous avez jetée, ou je vous fais mettre à la question sur l’heure !

Pardaillan poussa un profond et rauque soupir de joie délirante.

— Je suis sauvé ! murmura-t-il.

— En vain nierez-vous ! reprit Guitalens. Vous avez été entendu appelant le chien ! Vous avez été vu ! Répondez…

— Je suis tout prêt à vous répondre, fit Pardaillan d’une voix vibrante. Interrogez-moi !

— Ce chien est à vous ?

— Il est à moi, en effet.

— Vous lui avez jeté un papier qu’il a emporté. Ne niez pas !

— Je ne le nie pas. Je dirai plus. C’est que depuis longtemps, mon chien est dressé à ce genre d’exercices.

— Il sait donc où il doit porter ce papier ?

— Il le sait parfaitement ; il y a été cent fois.

— C’est donc à cela que vous destiniez le papier, sous prétexte de révélation à me faire !… Ah ! vous me le paierez cher !… Et à moins que vous ne me disiez tout…

— Tout quoi ?…

— Vous avez écrit ?…

— Parbleu !…

— Prisonnier, vous êtes bien insolent. Prenez garde !

— Je réponds, voilà tout !

— À qui avez-vous écrit ?

— À une personne que je nommerai tout à l’heure devant vous seul.

— Et c’est à cette personne que le chien va porter la lettre ?

— Non, mais à un de mes amis, un ami sûr et fidèle qui, dès ce soir, remettra la lettre à la personne qui doit la lire.