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ORPHELINS
D’ALSACE
Grand Roman dramatique

QUATRIÈME PARTIE

Les Enfants de Jean-Paul

IX
(Suite.)


Et il essayait, le malheureux, de la relever… Mais ses doigts, maintenant lourds et débiles, n’en avaient plus la force… elle lui échappait et il retombait sur le tapis, à côté d’elle, en répétant toujours, avec sa voix étrange : — voix d’enfant qui se plaint, voix de vieillard qui garnit :

— Viens donc… Ne fais pas ta méchante… puisque je les ai tous tués…

Mais voilà qu’à présent son délire le jetait dans une autre hallucination :

Où se croyait-il, le misérable ? Il s’éloignait avec terreur de ce corps sans vie… il rampait, rampait, et puis, arrivé à la muraille, dans l’impossibilité de reculer davantage, il commençait à pousser des cris qui devenaient bientôt des hurlements de terreur :

— Là-bas… dans la neige… ils saignent… Ah ! voilà la vieille… la voilà… 3e ne peux pas l’arrêter, celle-là… Je ne peux pas… je ne peux pas… la vieille… la vieille…

… Tant qu’elle me regardera avec cet yeux-là, je ne pourrai jamais, non !…

… Mais fermez lui donc ces yeux qui me brûlent… Fermez-les !… Je ne veux pas qu’ils me voient… Je ne veux pas… Je ne veux pas…

Et, dans une crise sans nom, il se roulait en rugissant.

C’était maintenant une clameur aussitôt entendue de toute la maison.

On s’était précipité.

La porte fermée en dedans ne pouvait opposer beaucoup de résistance.

D’un violent coup d’épaule, le cocher — un gaillard solide et trapu — faisait sauter la serrure, et la porte enfoncée donna passage à Christian, que suivaient tous les domestiques de la maison.

Quel épouvantable spectacle !

Au milieu de la chambre, Gabrielle étendue, inanimée, morte…

Dans le coin, un être privé de raison, un fou qui se roulait sur le tapis en poussant des hurlements de bête blessée…

— Ah ! nous sommes arrivés trop tard !…

Aidé d’un domestique, Christian avait relevé la morte.

Elle était maintenant étendue sur un canapé… Le pouls ne battait plus… Aucun souffle ne ternissait un miroir posé contre ses lèvres…

Son cou… ce cou si blanc, portait comme un ruban rouge, la trace des mains crispées qui avaient étouffé la pauvre femme…

Dans la bouche démesurément ouverte, on voyait se gonfler la langue que l’afflux du sang faisait déjà bleuir.

— Il l’a étranglée, murmura le domestique.

— Ah ! mon Dieu… mon Dieu… fit Christian, dont le front livide se couvrait d’une tueur froide