Page:Lectures romanesques, No 134, 1907.djvu/18

Cette page n’a pas encore été corrigée

lundis et les vendredis sont les seuls jours où je suis libre… Tu comprends ce que j’attends de toi, n’est-ce pas, ma bonne Laura ?

— Je comprends très bien, Alice. Je redeviens votre parente… votre vieille cousine ?

— Non, j’ai dit que tu es ma tante.

— Bien. Je monte en grade. Votre nouvel amoureux doit être plus important que ce pauvre maréchal de Damville.

— Tais-toi, Laura ! fit sourdement Alice. Henri de Montmorency n’était que mon amant.

— Et celui-ci ?

— Celui-ci… je l’aime !…

— Et l’autre ! non le maréchal… mais le premier, ne l’aimiez-vous pas aussi ?

Alice pâlit.

— Le marquis de Pani-Garola ! murmura-t-elle.

— Eh oui, ce digne marquis ! À propos, savez-vous ce qu’il devient ?

— Comment le saurais-je ?

— Il est entré en religion.

Alice jeta un léger cri.

— Cela vous étonne, n’est-ce pas ? Cela est pourtant ! Ce diable à quatre, ce pourfendeur, ce spadassin, ce héros de toutes les orgies, eh bien, c’est maintenant un digne carme… Moine à vingt-quatre ans ! qui eût dit cela du brillant marquis !… Hier, il a prêché contre les huguenots.

— Moine ! Le marquis de Pani-Garola ! murmura Alice.

— Maintenant le révérend Panigarola ! répondit la vieille. Ainsi va la vie. Hier démon, aujourd’hui ange de Dieu…à moins que ce ne soit tout le contraire. Mais revenons à votre jeune homme. Comment s’appelle-t-il ?

Alice de Lux n’entendit pas. Elle réfléchissait profondément. Son visage avait pris une sombre expression qui peu à peu s’éclaira par degrés.

_ Oh ! si cela était possible ! murmura-t-elle. Je serais libre !… Tu dis reprit-elle tout haut, que le marquis s’est fait moine ?… De quel ordre ? De quel couvent ?

— Il est aux carmes de la montagne Sainte-Geneviève.

— Et il prêche ?

— À Saint-Germain-l’Auxerrois, où il y a foule pour l’entendre. Les plus belles dames veulent être ses pénitentes. Que d’absolutions il doit donner après avoir damné tant d’âmes !

— À Saint-Germain-l’Auxerrois. Bien, Laura, tu peux me sauver la vie, si tu le veux…

— Que faut-il que je fasse ?

— Obtiens du marquis… du révérend Panigarola qu’il m’entende en confession.

La vieille jeta un regard perçant sur Alice ; mais elle ne vit qu’un visage bouleversé par une profonde douleur et une immense espérance.

« Oh ! oh ! songea-t-elle, il y a là quelque secret qu’il faut que je sache… »

— Ce sera peu facile, continua-t-elle en répondant à Alice. Le révérend est assiégé… mais, enfin, je pense que j’y arriverai, surtout si je dis quelle nouvelle pénitente implore le secours du digne père…

— Garde-toi bien de dire qu’il s’agit de moi ! s’écria Alice. Écoute, Laura, ma bonne Laura, tu sais combien je t’aime, et quelle confiance j’ai en toi, puisque tu m’as sauvée une fois déjà…

— Oui, vous avez confiance en moi, mais vous ne m’avez pas encore dit le nom de ce jeune homme qui doit venir…

— Plus tard, Laura, plus tard ! Ce nom, vois-tu, est un secret terrible, et c’est à peine si j’ose maintenant le prononcer dans mon cœur, de crainte que quelqu’un n’entende les battements de ce cœur et ne devine le redoutable mystère qu’il contient… Sache seulement que je l’aime… oh ! je l’aime à donner ma vie pour lui éviter un chagrin… il a tant souffert !… Et qui sait les souffrances qui lui sont réservées encore !… Te dire combien je l’aime… je ne pourrais ! Il me semble qu’il m’a purifiée… il m’a fait connaître l’amour dans ce qu’il a de radieux et de sacré, des joies que je ne me croyais plus digne d’éprouver. Oh ! que ne suis-je encore la chaste vierge qu’il croit avoir rencontrée en moi ! Pourquoi ne puis-je offrir qu’un corps flétri et une âme déchue !…

Elle avait joint ses mains qu’elle serrait avec force l’une contre l’autre.

— Je ne puis te dire son nom, Laura ! Et c’est parce que je l’aime !… Mieux vaudrait que je meure plutôt que de révéler qui il est… Mais écoute… Tu sais ce que je souffre auprès de la maudite Catherine. Tu sais quelle horreur j’ai de moi-même ! Tu sais que je me suis vue si infâme que j’ai voulu me tuer… et que sans toi, sans tes soins qui m’ont ranimée, sans tes maternelles caresses qui m’ont consolée, je serais morte !… Eh bien, aujourd’hui plus que jamais, il faut que je cesse d’être, comme tant de malheureuses, un instrument aux mains de cette femme impitoyable. Quel instrument ! Instrument de basses délations, de viles intrigues, instrument de mort souvent ! Mon corps livré aux baisers de ceux qu’elle me