Page:Lectures romanesques, No 132, 1907.djvu/20

Cette page n’a pas encore été corrigée

Ainsi donc, j’attends votre bon plaisir et vos ordres.

— Oui ! murmura la reine pensive, il le faut ! Écoute-moi, mon enfant, mon cher fils…

Alors Jeanne d’Albret, bien qu’elle fût certaine que nul ne guettait ses paroles, se mit à parler si bas que le comte de Marillac, pour l’entendre, concentrait toute son activité dans l’ouïe, fermait les yeux, et que sa tête touchait presque la tête de la reine.

L’entretien, ou plutôt le monologue, dura une heure.

Au bout de cette heure, le comte répéta en les résumant les instructions qui venaient de lui être données.

Alors, il voulut s’incliner pour saluer la reine.

Mais Jeanne d’Albret le saisit, l’attira à elle et, l’embrassant au front, lui dit :

— Va, mon fils, pars avec ma bénédiction…

Déodat s’éloigna et traversa la pièce où attendaient les deux autres gentilshommes. Il jeta un rapide regard autour de lui ; mais sans doute il ne trouva pas ce qu’il comptait voir ou revoir dans cette salle basse, car il sortit dans la ruelle, détacha un cheval dont le bridon était fixé au tourniquet d’un contrevent, se mit en selle, et commença à descendre la grande côte boisée, dans la direction de Paris.

Peut-être éprouvait-il comme un regret à s’éloigner ainsi, car il laissait son cheval cheminer au pas et, après l’avoir mis dans le chemin, il ne s’inquiétait plus de lui pour le relever d’un coup de bride lorsque la bête buttait contre quelque pierre.

En effet, la route qu’il suivait n’était guère qu’un sentier mal entretenu, et la pente était roide.

Au bout de vingt minutes, le comte de Marillac — ou Déodat, comme on voudra l’appeler — atteignit un groupe de chaumières ramassées autour d’un pauvre clocher. Ce hameau s’appelait Mareil. Dans l’obscurité, le comte distingua un bouquet de chêne et de buis au-dessus d’une porte. C’était une auberge.

Il s’arrêta, regardant derrière lui comme pour examiner les hauteurs qu’il venait de descendre ; mais l’obscurité était profonde. Saint-Germain ne lui apparaissait que comme une ligne plus noire sur la crête du coteau.

Il soupira et mit pied à terre en se donnant comme excuse que les portes de Paris étaient fermées à cette heure et qu’il valait mieux attendre là le matin, plutôt que d’aller chercher un gîte du côté de Rueil ou de Saint-Cloud.

Il frappa à la porte du bouchon avec le pommeau de son épée. Au bout de dix minutes, un paysan à demi aubergiste vint lui ouvrir ; et sur le vu de l’épée plus encore que sur le vu d’un écu tout brillant, consentit à servir au comte un repas sur le coin d’une table, près de l’âtre.

Déodat s’accouda, les bottes tendues vers le feu, tandis qu’on conduisait son cheval à l’écurie.

Depuis longtemps, l’omelette qu’on venait de lui fricasser en hâte sur la flamme claire était devant lui.

Il n’y touchait pas…

Il songeait.

Après le départ du comte de Marillac, la reine de Navarre était demeurée quelques minutes seule et pensive.

Puis elle avait fait un effort pour revenir à la situation présente.

Elle frappa deux coups sur un timbre avec un petit marteau.

Elle attendit une minute, puis, voyant que personne ne venait, elle frappa à nouveau deux coups.

Cette fois, une porte s’ouvrit et Alice de Lux parut.

— Je demande pardon à Votre Majesté, dit-elle avec volubilité ; je crois qu’elle m’a appelée deux fois ; mais j’étais si loin de cette pièce… que je n’étais pas sûre…

La reine de Navarre s’était assise dans un fauteuil.

Elle fixait son clair regard sur la jeune fille, et sous ce regard, Alice de Lux demeurait troublée, palpitante.

— Alice, dit enfin Jeanne d’Albret, je vous ai dit tout à l’heure, au moment où nous avons été sauvées, que vous aviez été bien imprudente de nous faire passer par le pont, plus imprudente encore d’ouvrir les rideaux de la litière, et enfin, plus imprudente encore de prononcer mon nom devant une foule qui, sûrement, m’était hostile…

— C’est vrai… mais je croyais avoir expliqué à Votre Majesté…

— Alice, interrompit la reine, en disant que vous aviez été imprudente, je me suis trompée… ou j’ai feint de me tromper ; car si je vous avais dit à ce moment ma véritable pensée, peut-être eussiez-vous commis quelque nouvelle imprudence qui, cette fois, m’eût été fatale.

— Je ne comprends pas, madame, balbutia Alice de Lux en devenant très pâle.

— Vous allez me comprendre tout à l’heure. Lorsque vous êtes venue à la cour de Navarre, Alice, vous m’avez dit