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Et qui pouvait être cet inconnu !…

À la pensée qui lui vint alors, elle tressaillit d’horreur. Et comme elle jetait sur sa mère un regard d’infinie désolation, elle la vit si pâle, avec une telle épouvante dans les yeux, qu’elle comprit qu’elle aussi avait sans doute la même pensée.

— Oh ! mère ! fit-elle dans un murmure d’angoisse, mon cœur est brisé…

— Pauvre chérie adorée… il le fallait, vois-tu, pour éviter de plus grands malheurs…

— Mon cœur est comme mort, reprit Loïse ; mais ce n’est pas à moi que je songe…

— À quoi songes-tu donc, mon enfant ? fit Jeanne en jetant un profond regard sur sa fille. À lui, sans doute ! Ah ! mon enfant, détourne ta pensée…

Loïse secoua la tête.

— Je songe, dit-elle avec un frémissement, à l’homme qui vient de nous enlever.

Jeanne tressaillit d’épouvante. Car sa pensée était bien celle de son enfant.

— Et, acheva Loïse, en rassemblant tout ce qui nous est arrivé, tout ce qui nous arrive, je crois deviner quel est cet homme… C’est…

— Oh ! tais-toi ! tais-toi ! bégaya Jeanne comme si le nom qui était sur les lèvres de sa fille et sur ses propres lèvres à elle eût été une malédiction…

Les deux femmes, dans une épouvante grandissante, se serrèrent l’une contre l’autre.

À ce moment, Jeanne étreignit sa fille plus violemment de son bras droit, tandis que son bras gauche se tendait vers la porte qui venait de s’ouvrir sans bruit…

— Lui ! murmura-t-elle en devenant livide…

Sur le pas de la porte, livide lui-même, pareil à un spectre immobile, se tenait Henri de Montmorency !…






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Il est un personnage de ce récit que nous avons à peine entrevu et qu’il est temps de mettre en lumière. Nous voulons parler de cette Alice de Lux qui suivait la reine de Navarre. On a vu comment Jeanne d’Albret et Alice de Lux, sauvées par le chevalier de Pardaillan, s’étaient rendues toutes les deux chez le juif Isaac Ruben, et comment elles étaient montées dans la voiture qui stationnait en dehors des murs, non loin de la porte Saint-Martin.

Le carrosse, enlevé par ses quatre bidets tarbes, avait contourné Paris, passant au pied de la colline de Montmartre, franchissant la petite rivière qui, aux environs de Grange-Batelière, se transformait en marécages, puis piquant droit sur Saint-Germain où avait été signée la paix entre catholiques et réformés, paix qui n’était guère qu’un menaçant armistice, chacun des deux partis s’employant avec ardeur à concentrer de nouvelles forces pour une lutte décisive.

Les prêtres, dans les églises, prêchaient ouvertement le massacre.

Le roi Charles IX dut édicter que seuls les nobles et hommes d’armes porteraient l’épée.

Une maison fut brûlée parce qu’on supposait que des réformés s’y réunissaient en secret. Il faut se rappeler que le crime des réformés était de prier en français le même Dieu que les catholiques priaient en latin.

Le jour de la bataille de Moncontour, on vint d’abord apprendre à Catherine de Médicis que les huguenots l’emportaient.

— Nous dirons donc la messe en français ! répondit-elle simplement.

Et lorsqu’elle sut que les huguenots avaient été taillés en pièces :

— Dieu soit loué ! C’est encore en latin que nous dirons la messe !

Huit jours après la signature de la paix, dans une église, un homme bouscula par mégarde une vieille femme. Cette femme chercha une injure et ne trouva que celle-ci :

— Luthérien !

À ce cri, la foule tomba sur le malheureux qui en quelques instants fut tué, lacéré, mis en morceaux. Deux bons bourgeois qui, indignés, s’avisèrent de vouloir le secourir, subirent le même sort.

À tous les coins de rue, il y avait des statues de la Vierge. Au pied de ces statues stationnaient sans cesse une vingtaine de brigands armés jusqu’aux dents. Dans l’espace de deux mois, une cinquantaine d’infortunés passants furent égorgés pour avoir omis de saluer et de s’agenouiller.

Bientôt même, on exigea que chaque passant déposât une offrande dans une corbeille que tenait l’un des brigands : malheur au misérable qui se refusait à payer cette contribution forcée.

Donc, pour en revenir à notre récit, la reine de Navarre et Alice de Lux avaient atteint Saint-Germain. Jeanne d’Albret