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entouré, saisi par les bras et par les jambes, et il tomba.

— Malédiction ! hurla le chevalier.

— À moi, monsieur, cria la voix de Loïse.

Pardaillan, étendu sur le plancher, s’arc-bouta sur sa tête et sur ses talons ; et il souleva la grappe humaine tout entière… mais ils étaient trop !… Il retomba, écumant…

— À moi ! cria encore Loïse.

Et cette voix arracha au chevalier un rugissement.

Elle le galvanisa comme une secousse électrique.

Dans un prodigieux effort, il tendit ses muscles… et alors, il constata que ses jambes étaient liées ! Liés aussi ses bras. Il ferma les yeux et, de ses paupières closes, jaillit une larme que dévora la fièvre des joues…

Pendant ce temps, le chien hurlait, pillait, mordait, dans le tas.

Quand le chevalier fut réduit à l’impuissance, Nancey compta autour de lui deux morts et cinq blessés.

Pardaillan avait assommé l’un des morts d’un coup de poing à la tempe. Pipeau avait étranglé l’autre.

— En route ! commanda le capitaine.

Pardaillan, tout ficelé, fut saisi, emporté… et le long aboi lugubre du chien ponctua la défaite de son maître.

Dans la rue, le chevalier ouvrit les yeux, et vit trois carrosses.

L’un était rangé contre la porte de l’hôtellerie et celui-là était pour lui.

Les deux autres stationnaient devant la maison d’en face ; le premier était vide ; dans le deuxième, Pardaillan reconnut Henri de Montmorency, le maréchal de Damville !

Il n’eut pas le temps d’en voir plus long, car il fut jeté dans le carrosse qui lui était destiné, les mantelets furent aussitôt rabattus, et il se trouva dans une prison roulante qui se mit aussitôt en mouvement.

Pardaillan était comme fou de fureur et de désespoir.

Mais, si désespéré qu’il fût, il garda assez de sang-froid pour suivre en imagination les tours et détours de la voiture qui l’entraînait. Il connaissait admirablement son Paris et, au bout de quelques minutes, il fut fixé…

Une sueur froide l’envahit…

Ses cheveux se hérissèrent…

Et il murmura avec une angoisse qui le fit frissonner :

— On me conduit à la Bastille !

La Bastille !… La réputation de la sinistre prison d’État était, dès cette époque, ce qu’elle devait être plus tard, sous Louis XIV et Louis XV. Il n’y eut guère qu’Henri IV et Louis XIII qui donnèrent leurs préférences à d’autres donjons de réclusion.

La Bastille, ce n’était déjà plus une prison comme le Temple, comme le Châtelet, comme tant d’autres.

La Bastille, c’était l’oubliette, c’était la tombe, c’était la mort lente au fond de quelque cachot sans air.

Il y avait autour de sa masse énorme une atmosphère de terreur.

Pardaillan comprit qu’il était perdu.

Perdu ! au moment où la fortune semblait lui sourire !

Au moment où celle qu’il aimait l’appelait à son secours et où elle avouait ainsi qu’elle l’aimait !

Lorsque la voiture, ayant franchi des ponts-levis et des portes, s’arrêta enfin, lorsque Pardaillan fut descendu, il regarda autour de lui et se vit dans une cour sombre, entouré de soldats.

Un instant, il eut la pensée de se précipiter sur eux, dans l’espoir de recevoir tout de suite le coup mortel et d’en finir avec la vie…

Mais avant même que cette pensée se fût formulée en lui, il fut saisi par deux ou trois geôliers herculéens qui le portèrent plutôt qu’ils ne le firent marcher. Il franchit une porte de fer, pénétra dans un long couloir humide dont les murs rongés de salpêtre laissaient suinter de mortelles émanations : puis on monta un escalier de pierre en pas de vis, puis on franchit deux grilles de fer, puis on longea un corridor, et enfin, Pardaillan fut poussé dans une pièce assez vaste, située au troisième étage de la tour ouest.

Il entendit la porte se refermer à grand bruit.

Hagard, presque dément, il écouta le bruit des cadenas énormes qui se bouclaient.

Alors, comme on lui avait tranché ses liens, il jeta une longue clameur de désespoir et se rua sur la porte qu’il secoua frénétiquement…

Bientôt, il comprit que ses efforts étaient vains…

Et il tomba sur les dalles, évanoui.

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Que se passait-il dans la maison de la rue Saint-Denis ? Pourquoi Loïse, qui n’avait jamais parlé au chevalier de Pardaillan, l’appelait-elle à son secours ? C’est ce que nous allons dire.

Le maréchal de Damville avait, comme on l’a vu, reconnu Jeanne de Piennes.

Une fois sûr qu’il ne s’était pas trompé dans ses pressentiments, il regarda autour de