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répéta la reine d’un ton tel que Ruggieri sentit une sueur froide perler à son front.

— Je ne vous en parlais pas, reprit l’astrologue, je gardais pour moi terreur, douleur et remords. Mais maintenant, le silence, ma reine, serait un crime… un crime envers vous qui êtes restée l’idole de ma vie !…

Cependant, Catherine de Médicis, avec cette force de caractère qui la rendait peut-être plus redoutable que ses poisons, avait imposé le calme à son esprit. Placée soudain en face d’un événement qui pouvait être une terrible menace, elle résolut de l’envisager froidement. Elle contint les sursauts non pas de son cœur, qui était pétrifié, mais de son imagination qu’elle dirigeait avec une robuste fermeté.

— Soit, dit-elle, admettons que l’enfant vive. Qu’est-ce que cela peut me faire ? Il vit, mais il ne saura jamais qui il est ! Il vit, mais c’est dans quelque quartier ignoré, fils sans nom, enfant trouvé, pauvre selon toute vraisemblance. Il vit, mais nous ignorerons toujours où il est, comme toujours il ignorera le nom de sa mère !

— Catherine, dit Ruggieri, apprêtez toute votre force d’âme : l’enfant est à Paris, et je l’ai vu !

— Tu l’as vu ! rugit la reine. Tu l’as vu ! Où donc ?

— À Paris, vous dis-je !

— Quand ? Quand ? Mais parle donc !

— Hier. !… Et avant toute chose, apprenez le nom de la femme qui l’a recueilli, sauvé, élevé…

— C’est ?

— Jeanne d’Albret !…

— Fatalité !…

Catherine de Médicis s’était redressée et avait reculé, comme si un abîme se fût soudain ouvert sous ses yeux.

La foudre tombée à ses pieds ne l’eût pas frappée d’une stupeur plus accablante.

— Fatalité ! reprit-elle, secouée d’un frisson convulsif… Mon fils vivant !… La preuve de l’adultère aux mains de mon implacable ennemie !…

— Elle ignore, sans aucun doute ! balbutia Ruggieri.

— Tais-toi ! Tais-toi ! gronda-t-elle. Puisque c’est Jeanne d’Albret qui a élevé l’enfant, c’est qu’elle sait !… Comment ? Je l’ignore ! Mais elle sait, te dis-je ! Oh ! tu vois qu’il faut qu’elle meure ! Tu vois que ma double vue ne me trompait pas en me montrant en elle l’obstacle auquel je dois me heurter ! Ah ! Jeanne d’Albret ! Il ne s’agit plus maintenant de toi à moi d’une d’ambition ! Il ne s’agit plus de savoir si c’est ta race ou la mienne qui régnera… De toi à moi, c’est une question de vie ou de mort !… Et c’est toi qui mourras !…

Après ces paroles qui lui échappèrent, rauques et sifflantes, Catherine de Médicis s’apaisa par degrés. Son sein palpitant reprit une immobilité de marbre. Ses yeux fulgurants s’éteignirent.

Elle redevint la froide statue… le cadavre qu’elle semblait être au repos…

— Parle ! dit-elle alors. Quand et comment as-tu su la chose ?

Ruggieri, presque humble, épouvanté de cette fureur qu’il venait de déchaîner lui-même, répondit :

— Hier, madame. Je sortais de chez ce jeune homme…

— Celui qui l’a sauvée ?

— Oui, ce Pardaillan. Au moment où je quittais l’auberge, je demeurai pétrifié par une sorte de vision qui tout d’abord me stupéfia : un homme venait vers moi. Et, chose effrayante qui fit dresser mes cheveux sur ma tête, cet homme, il me sembla que c’était moi ! Moi-même ! Moi qui marchais à l’encontre de moi ! Mais moi tel que je devais être il y a vingt-quatre ans ! Moi jeune, comme si mon miroir m’eût tout à coup renvoyé ma propre image en me rajeunissant d’un quart de siècle…

Ruggieri passa la main devant ses yeux comme pour chasser un spectre.

— Continue ! dit froidement la reine.

— Ma première pensée fut que je devenais fou. Ma deuxième fut de couvrir mon visage. Car, si cet homme m’avait vu, il eût sans doute éprouvé la même impression que moi… Quand je revins de ma stupeur, je le vis qui entrait à l’auberge que je venais de quitter… J’étais bouleversé, Catherine !… Si vous aviez vu comme il avait l’air triste !…

Et Ruggieri attendit un instant, espérant peut-être surprendre quelque indice d’émotion, si faible qu’il fût.

Mais Catherine demeura glaciale de visage et d’attitude.

— Alors, reprit l’astrologue avec un soupir, une pensée affreuse traversa mon esprit. Je me souvins que les astres m’avaient affirmé son existence et, dans mon cœur, je m’écriai : « C’est lui ! c’est mon fils ! » Ah ! Catherine je vous fais grâce de toutes les pensées qui, à ce moment, se heurtèrent en moi… Puis, je songeai à vous ! Je songeai au danger possible qui pouvait vous menacer, et tout disparut, tout ! Sauf l’ardent désir de vous sauver…