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— Je le sais, Majesté.

— C’est d’autant plus beau que ces deux femmes ne vous étaient rien.

— C’est vrai, Majesté : ces deux dames m’étaient parfaitement inconnues.

— Mais vous savez leurs noms maintenant ?

Et à son tour, Catherine se dit :

« Il va mentir. »

— Je sais, répondit Pardaillan, que j’ai eu l’honneur de défendre de mon mieux. Sa Majesté la reine de Navarre et une de ses suivantes.

— Je le sais aussi, monsieur, fit Catherine étonnée. Et c’est pourquoi j’ai voulu vous connaître. Vous avez sauvé une reine, monsieur, et les reines sont solidaires. Ce que ma cousine n’a peut-être pu faire, je veux le faire, moi. Comprenez-moi, chevalier. La reine de Navarre est pauvre et ses embarras sont grands. Cependant, il est juste que vous soyez récompensé.

— Oh ! pour ce qui est de cela, que Votre Majesté se rassure : j’ai été récompensé selon mon mérite.

— Comment cela ?

— Par une parole que Sa Majesté la reine de Navarre a bien voulu me dire.

Catherine demeura pensive. Tout ce que disait ce jeune homme était empreint d’une si noble simplicité qu’elle en était comme déroutée. Elle prit une attitude plus mélancolique. Sa voix se fit plus caressante.

— Mais, reprit-elle, ma cousine de Navarre ne vous a-t-elle point offert quelque situation auprès d’elle ?

— Si fait, madame. Mais j’ai dû refuser.

— Pourquoi ? fit vivement Catherine.

— Parce qu’il m’est impossible de quitter Paris.

— Et si je vous offrais d’entrer à mon service, que diriez-vous ? Attendez avant de me répondre. Vous ne voulez pas quitter Paris ? Eh bien, c’est justement ce que je vous demanderais. Chevalier, vous qui vous jetez tête baissée à la défense de deux inconnues, voulez-vous contribuer à défendre votre reine ?

— Eh quoi ! Votre Majesté a-t-elle donc besoin d’être défendue ? s’écria sincèrement Pardaillan.

Un fugitif sourire passa sur les lèvres de la reine : elle tenait le défaut de la cuirasse.

— Oui ! cela vous surprend ! fit-elle de sa voix la plus séduisante. Et pourtant, cela est, chevalier ! Entourée d’ennemis, obligée de veiller nuit et jour à la sûreté du roi, je passe ma vie à trembler. Vous ne savez pas tout ce qui s’agite de sourdes ambitions et de lâches complots autour d’un trône…

Pardaillan tressaillit en songeant à ce complot dont il avait surpris le secret à la Devinière.

— Et pour me défendre, continua la reine, pour défendre le roi, pour apaiser les alarmes de mon cœur maternel, je suis presque seule. Ah ! s’il ne s’agissait que de moi, comme, depuis longtemps, je me serais abandonnée aux ennemis qui me guettent. Mais je suis mère, hélas ! Et je veux vivre pour mes enfants…

— Madame, dit le chevalier, sans émotion apparente, il n’est pas un gentilhomme digne de ce nom qui hésiterait à vous donner l’appui de son épée. Une mère est sacrée, Majesté. Et quand cette mère est une reine, ce qui n’était qu’une obligation d’humanité devient un devoir auquel nul ne peut se soustraire.

— Ainsi, vous n’hésiteriez pas à prendre rang parmi ces trop rares gentilshommes qui, ayant à la fois pitié de la reine et de la mère, se dévouent pour moi ?

— Je vous suis acquis, madame, répondit Pardaillan. Et si Votre Majesté veut bien m’indiquer comment un pauvre diable comme moi peut lui être utile…

La reine réprima un tressaillement de joie…

Ruggieri pâlit et étouffa un soupir.

— Avant de vous dire ce que vous pouvez pour moi, reprit Catherine de Médicis, je veux vous dire ce que je ferai pour vous… Vous êtes pauvre, je vous enrichirai ; vous êtes obscur, vous aurez les honneurs auxquels peut prétendre un homme tel que vous. Et pour commencer, que dites-vous d’un poste au Louvre, avec une rente de vingt mille livres ?

— Je dis que je suis ébloui, madame, et que je me demande si je rêve…

— Vous ne rêvez pas, chevalier. C’est le devoir des rois et des reines de trouver de l’occupation aux épées telles que la vôtre.

— Voyons donc l’occupation, dit Pardaillan qui dressa les oreilles.

Catherine de Médicis garda un instant le silence. Ruggieri essuya la sueur qui inondait son visage. Il savait, lui, ce que la reine allait demander au chevalier.

— Monsieur, dit alors la reine en accentuant le ton douloureux de ses paroles, je vous ai parlé de mes ennemis qui sont ceux du roi. Leur audace grandit de jour en jour. Et sans les quelques gentilshommes dévoués dont je vous entretenais, il y a longtemps que j’eusse été frappée. Or, je vais vous dire, monsieur, comment j’agis lorsque je vois s’approcher de moi un