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témoigner du premier coup. Mais cela ne doit pas m’empêcher d’accomplir ma mission.

— Bon ! je la connais !

— Vous la connaissez ?

— Oui. La reine de Navarre vous envoie me dire qu’elle me remercie encore de l’avoir tirée, hier, des mains de ces enragés : elle vous charge de me réitérer l’offre qu’elle m’a faite d’entrer à son service ; et enfin, elle m’adresse par votre entremise quelque bijou précieux. Est-ce bien cela ?

— Comment savez-vous ?…

— C’est bien simple. J’ai reçu ce matin un ambassadeur de certain grand seigneur qui m’a donné un fort beau diamant et qui m’a demandé si je voulais servir son maître ; j’ai ensuite reçu un mystérieux député qui m’a remis deux cents écus et m’a fait savoir que certaine princesse me veut compter parmi ses gentilshommes. Enfin, vous voici, vous le troisième. Et je suppose que l’ordre logique des choses va se continuer.

— Voici en effet le bijou, fit Déodat en tendant au chevalier une splendide agrafe composée de trois rubis.

— Que vous disais-je ! s’écria Pardaillan qui saisit l’agrafe somptueuse et fulgurante.

— Sa Majesté, continua Déodat, m’a chargé de vous dire qu’elle avait distrait ce bijou de certain sac que vous avez dû voir. Elle ajoute que jamais elle n’oubliera ce qu’elle vous doit. Et quant à prendre rang dans son armée, vous le ferez quand cela vous conviendra.

— Mais, demanda Pardaillan, vous avez donc rencontré la reine ?

— Je ne l’ai pas rencontrée : je l’attendais à Saint-Germain, d’où Sa Majesté est partie pour Saintes après m’avoir donné la commission qui me vaut le bonheur insigne d’être devenu votre ami.

— Bon. Une autre question : avez-vous rencontré, en montant ici, un homme enveloppé d’un manteau, paraissant âgé de quarante à cinquante ans ?

— Je n’ai rencontré personne, fit Déodat.

— Dernière question : quand repartez-vous ?

— Je ne repars pas, répondit Déodat dont la physionomie redevint sombre ; la reine de Navarre m’a chargé de diverses missions qui me demanderont du temps, et puis, j’ai aussi à m’occuper un peu de… moi-même.

— Bon. En ce cas, votre logement est tout trouvé ; vous vous installez ici.

— Mille grâces, chevalier. Je suis attendu chez quelqu’un qui… Mais que dis-je là ?… Fi ! J’aurais un secret pour un homme tel que vous ! Jean, je suis attendu chez M. de Téligny, qui est secrètement à Paris.

— Le gendre de l’amiral Coligny ?

— Lui-même. Et c’est à l’hôtel de l’amiral, rue de Béthisy, que vous devriez me venir demander, si ma bonne étoile voulait jamais que vous eussiez besoin de moi. L’hôtel est désert en apparence. Mais il vous suffira de frapper trois coups à la petite porte bâtarde. Et quand on aura tiré le judas, vous direz : Jarnac et Moncontour.

— À merveille, cher ami. Mais à propos de Téligny, savez-vous ce qui se dit assez couramment ?

— Que Téligny est pauvre ? Qu’il n’a pour tout apanage que son intrépidité et son esprit ? Que l’amiral eut grand tort de donner sa fille à un gentilhomme sans fortune ?

— On dit cela. Mais on dit aussi autre chose. On, c’est un certain truand, homme de sac et de corde qui a été employé à plus d’une besogne et qui a vu beaucoup. On m’a donc affirmé que, la veille du mariage de Téligny, un gentilhomme de haute envergure se serait présenté chez l’amiral pour lui dire qu’il aimait sa fille Louise.

— Ce gentilhomme, interrompit Déodat, s’appelle Henri de Guise. Vous voyez que je connais l’histoire. Oui, c’est vrai. Henri de Guise aimait Louise de Coligny. Il vint représenter à l’amiral que son père, le grand François de Guise, et lui avaient fait ensemble leurs premières armes à Cerisoles, que l’union de la maison de Guise et de la maison de Châtillon représentée par Coligny mettrait fin aux guerres religieuses ; enfin, l’orgueilleux gentilhomme plia jusqu’à pleurer devant l’amiral, en le priant de rompre le mariage projeté et de lui accorder Louise.

— C’est bien cela. Et que répondit l’amiral ?

— L’amiral répondit qu’il n’avait qu’une parole et que cette parole était engagée à Téligny. Il ajouta que d’ailleurs, ce mariage était voulu par sa fille qui, en somme, prétendit-il, était le premier juge en cette affaire. Henri de Guise partit désespéré. Téligny épousa Louise de Coligny. Et, de chagrin, Guise se jeta à la tête de Catherine de Clèves, qu’il vient d’épouser il y a dix mois.

— Laquelle Catherine, assure-t-on, aime partout où elle peut, excepté chez son mari !

— Elle a un amant, fit Déodat.

— Qui s’appelle ?

— Saint-Mégrin.

Pardaillan éclata de rire.