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ses premières rencontres avec François, l’irrésistible tendresse qui les avait poussés l’un vers l’autre, leurs aveux, puis la faute, puis la scène du mariage nocturne, les menaces d’Henri, la naissance de Loïse, et enfin l’effroyable supplice final où son cœur d’amante et de mère avait été broyé…

Elle dit tout, n’omit aucun détail ; le vieux Montmorency l’écouta sans prononcer une parole, le visage fermé, raidi dans une attitude glaciale.

Jeanne se tut, palpitante ; son regard ardent chercha en vain les yeux du connétable pour y lire une émotion.

Dans un mouvement de désespoir, elle se laissa tomber à genoux et joignit les mains, tandis qu’elle essayait de refouler les sanglots qui la secouaient…

— Monseigneur, je vois que je ne vous ai pas convaincu ! Malheureuse ! Je n’ai pas su trouver l’accent de la vérité. Et pourtant, je jure que j’ai bien dit la vérité… je le jure sur mon âme… je le jurerais sur l’Évangile… ou plutôt, tenez, je le jure sur la tête de ma fille !… Vous ne pensez pas, monseigneur, que je voudrais attirer une malédiction sur ma petite Loïse ? Non n’est-ce pas ?… Eh bien, alors, pourquoi ne me croyez-vous pas… pourquoi vous taisez-vous ?… Oh ! monseigneur… vous êtes le père de François… Loïse est votre petite-fille… un peu de pitié pour la mère !… Et vrai, je vous assure que je n’en puis plus…

Pendant qu’elle parlait ainsi, d’une voix si triste et si brisée qu’on voyait bien vraiment que cette pauvre jeune femme était à bout de forces et avait besoin d’un peu de pitié, Montmorency réfléchissait.

Son œil se plissait, son esprit, indifférent à ce drame lamentable, cherchait une ruse…

— Relevez-vous, madame, dit-il enfin. Je suis convaincu que vous dites la vérité…

— Oh ! s’écria Jeanne avec exaltation. Loïse est sauvée !…

Ce cri de la mère troubla un instant l’âme obscure du guerrier. Mais aussitôt il se remit et reprit :

— J’ignorais d’ailleurs tout ce que vous venez de raconter touchant mon fils Henri. François ne m’en a point parlé (il mentait), et, tout à l’heure, en vous disant que je savais tout, je faisais seulement allusion à ce mariage secret qui m’a gravement offensé dans mon autorité paternelle et dans nos intérêts de famille. Ce mariage est impossible, madame !

— Ce mariage, murmura Jeanne frappée au cœur, n’est ni possible ni impossible : il est. Voilà tout !…

Une bouffée de colère enflamma le visage du connétable. Des paroles violentes se pressèrent sur ses lèvres ; mais il dompta sa colère, il refoula ses paroles, parce que sa pensée était plus violente encore.

Avec une tranquillité qui fit frissonner la jeune femme, il tira de son pourpoint deux parchemins et en déroula un.

— Lisez ceci, dit-il.

Jeanne parcourut d’un trait le parchemin. Elle devint livide. Un tremblement d’épouvante l’agita, et incapable d’articuler un mot, ou de pousser une plainte, elle tourna vers le terrible père de François un de ces regards comme les moutons doivent en jeter au boucher lorsqu’il lève son couteau.

Le papier ne contenait que quelques lignes, qui se terminaient par la formule inventée et inaugurée par François 1er. Ces lignes, les voici :

« À tous présents et à venir, salut.

Ordre est donné à notre prévôt, messire Tellier, de se saisir de la personne de François, comte de Margency, aîné de la maison de Montmorency, colonel de notre infanterie suisse, et de le conduire en notre prison du Temple où il demeurera jusqu’à ce qu’il plaise à Dieu de l’appeler à Lui. Nous le voulons et mandons ainsi à notre prévôt et tous officiers de notre prévôté, car tel est notre bon plaisir. »

— Monseigneur ! oh ! monseigneur ! bégaya enfin Jeanne, que vous a fait François ? Oh ! vous voulez m’éprouver, m’effrayer ! Ceci est horrible !… La prison perpétuelle !… ô mon François !…

— Madame, dit Montmorency, avec un calme sinistre, ce parchemin n’est pas signé encore. Je suis, madame, connétable des armées du roi et grand-maître de France. Dans quelques instants, le roi sera dans cet hôtel. Je n’aurai qu’à lui présenter ce papier, et à lui dire : « Plaise à Votre Majesté d’apposer sa griffe au bas de ce parchemin. » Et demain, madame, commencera la prison… la nuit éternelle pour celui que vous aimez.

— Oh ! c’est affreux ! Ma raison s’égare ! Mais que vous a-t-il fait, seigneur ? Que vous a-t-il fait ?

— Il vous a épousée : là est son crime…

— Son crime ! balbutia l’infortunée dont la raison, vraiment, s’égarait… Oh ! monseigneur, ne punissez que moi ! Grâce pour François ! Dieu juste ! Dieu de bonté ! Il n’est donc ni juste ni pitié ici-bas ! Tenez, monseigneur, tuez-moi, puisque c’est un crime que d’aimer…