Page:Lectures romanesques, No 120, 1907.djvu/7

Cette page n’a pas encore été corrigée

Henri devint livide ; dans un éclair, il entrevit son frère se dressant en justicier, le frappant du coup mortel.

Puis un afflux de sang empourpra son visage et fit ses lèvres toutes violettes. Il leva le poing au ciel et râla :

— Malédiction !

Puis il s’abattit tout d’une pièce, foudroyé, assommé comme un bœuf à l’abattoir…

Pendant quatre mois, Jeanne avait lutté contre la mort. Dans la pauvre chambre de paysans où on l’avait couchée, elle se débattit des jours et des nuits contre la fièvre cérébrale qui devait ou la tuer ou la laisser folle, de l’avis de tous.

Elle ne mourut pas. Elle ne devint pas folle.

Au bout du quatrième mois, elle était hors de danger, et la fièvre avait disparu pour toujours.

Dans un grand lit, les yeux attachés aux poutres noircies par le temps, Jeanne passa alors de longues années dans un silence effrayant. Pourtant, quand elle était seule, elle prononçait tout bas de vagues paroles de tendresse, d’infinie tendresse, adressées à qui ?… Elle seule le savait !

La maladie, cependant, l’avait brisée. Une insurmontable faiblesse la clouait dans ce lit où elle avait tant souffert…

Deux autres mois s’écoulèrent ainsi.

Un matin d’automne, comme la fenêtre ouverte laissait entrer le soleil d’octobre, doux comme un adieu de l’été, Jeanne se sentit plus forte et voulut se lever.

La vieille nourrice l’habilla en pleurant de joie.

Une fois debout, Jeanne essaya d’aller jusqu’à la fenêtre dont la gaie clarté l’attirait.

Mais à peine eut-elle fait deux pas qu’elle porta vivement les mains à ses flancs en poussant un cri de détresse : la première douleur de l’enfantement venait de lui infliger cette redoutable morsure qui est le suprême avertissement de la Vie sortant de ses limbes.

La nourrice la coucha.

Bientôt des déchirements plus profonds se produisirent dans l’être de la jeune femme ; les douleurs se succédèrent plus violentes ; au bout de quelques heures, dans un dernier spasme de souffrance, elle crut qu’elle mourrait enfin…

Quand elle revint à elle, quand elle put soulever ses paupières alourdies, quand elle put regarder, un long frémissement de joie et d’amour la fit palpiter tout entière : là, tout contre elle, sur le même oreiller, ses deux poings minuscules solidement fermés, ses paupières closes, sa petite figure blanche comme du lait, rose comme une feuille de rose, ses lèvres entrouvertes