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Une dizaine de portraits s’encadraient dans ces panoplies. Et sur le panneau qui faisait face au trône, c’était le portrait du premier ancêtre, de ce Bouchard aux traits rudes, qui, un moment, avait tenu dans ses mains violentes la couronne de France. Les armures, cuirasses, brassards, casques empanachés luisaient au pied de ces tableaux, et il semblait que les aïeux n’eussent eu qu’à descendre pour s’en revêtir.

Sur son trône ; le vieux connétable, cuirassé, bardé d’acier, son casque aux mains d’un page près de lui, ses deux mains appuyées sur le formidable estramaçon[1], ses sourcils froncés. Cinquante capitaines immobiles à ses côtés attendaient en silence.

Et lui-même semblait un de ces antiques guerriers qui décidaient du sort des batailles géantes.

Depuis Marignan, où François 1er l’avait embrassé, jusqu’à Bordeaux, où il avait massacré en masse les huguenots et sauvé la religion, que de terribles coups il avait portés !…

François n’avait pas vu son père depuis deux ans. Il s’avança jusqu’au pied du trône.

Près de ce trône, se tenait Henri, arrivé depuis un quart d’heure. Il était blême et tremblant.

À quoi songeait ce jeune homme de vingt ans ?

Quelles confuses et funestes pensées de fratricide roulaient lourdement dans sa tête comme des nuées fuligineuses sur un ciel d’ouragan ?

François de Montmorency ne vit pas le sanglant regard de son frère ; profondément, il s’inclina devant le chef de famille.

Le connétable, voyant la forte carrure de son aîné et sa taille vigoureuse, eut un sourire : ce furent toutes ses effusions paternelles.

Alors, sans un geste, il parla, tranquille et terrible :

— Écoutez-moi. Vous savez le désastre qu’a subi l’empereur Charles Quint sous les murs de Metz[2], au dernier mois de décembre. Le froid et la maladie, en quelques jours, ont détruit sa grande armée de soixante mille hommes d’armes et reîtres… Tous nous jugeâmes alors que c’était la fin de l’Empire ! L’Espagnol détruit, le huguenot écrasé par moi dans les pays de langue d’oc, la paix semblait assurée ; et, tout ce printemps, Sa Majesté Henri II l’a passé en fêtes, danses et tournois… Le réveil est terrible !

Le connétable ajouta plus sourdement :

— Oui, les éléments qui se mêlent parfois de donner aux conquérants d’effroyables leçons ont infligé à Charles Quint une mémorable défaite ! Oui, l’empereur a pleuré en abandonnant ses quartiers où il laissait vingt mille cadavres, quinze mille malades et quatre-vingts pièces d’artillerie !… Mais le voila qui relève la tête ! Il s’avance. Il est sur nous !…

François écoutait son père avec un

  1. Estramaçon : ancienne épée large, à deux tranchants.
  2. En 1552, Henri II s’est emparé des Trois Évêchés, Metz, Toul et Verdun. Charles Quint assiège Metz, mais il est repoussé par le duc de Guise (26 décembre). En 1553, il reprend l’offensive, met le siège devant Thérouanne, place forte aux confins de la Flandre et de l’Artois. La ville est prise et rasée.