Page:Lectures romanesques, No 118, 1907.djvu/7

Cette page n’a pas encore été corrigée

Les Pardaillan

par

Michel ZEVACO

I

Les deux frères

La maison était basse, toute en rez-de-chaussée, avec un humble visage. Près d’une fenêtre ouverte, dans un fauteuil armorié, un homme, un grand vieillard à tête blanche ; une de ces rudes physionomies comme en portaient les capitaines qui avaient survécu aux épopées guerrières du temps du roi François 1er.

Il fixait un morne regard sur la masse grise du manoir féodal des Montmorency, qui dressait au loin dans l’azur l’orgueil do ses tours menaçantes.

Puis ses yeux se détournèrent.

Un soupir terrible comme une silencieuse imprécation gonfla sa poitrine ; il demanda :

— Ma fille ?… Où est ma fille ?…

Une servante, qui rangeait la salle, répondit :

Mademoiselle a été au bois cueillir du muguet.

Une ineffable expression de tendresse illumina le front du vieillard qui, doucement, sourit et murmura :

— Oui, c’est vrai ; c’est le printemps. Les haies embaument : Chaque arbre est un bouquet. Tout rit, tout chante, des fleurs partout. Mais la fleur la plus belle, ma Jeanne, ma noble et chaste enfant, c’est toi…

Son regard, alors, se reporta sur la formidable silhouette du manoir accroupi sur la colline, comme un monstre de pierre qui l’eût guetté de loin…

— Tout ce que je hais est là ! gronda-t-il. Là est la puissance qui m’a brisé, anéanti ! Oui, moi, seigneur de Piennes, autrefois maître de toute une contrée, j’en suis réduit à vivre presque misérable, dans cet humble coin de terre que m’a laissé la rapacité du connétable !…

Que dis-je, insensé ! Mais ne cherche-t-il pas, en ce moment même, à me chasser de ce dernier refuge !… Qui sait si demain ma fille aura encore une maison où s’abriter !… O ma Jeanne… tu cueilles des fleurs… tes dernières fleurs peut-être !…

Deux larmes silencieuses creusèrent un amer sillon parmi les rides de ce visage. désespéré.

Soudain, il pâlit affreusement ; un cavalier vêtu de noir mettait pied à terre devant la maison, entrait et s’inclinait devant lui !…

— Enfer !… Le bailli de Montmorency !…

— Seigneur de Piennes, dit l’homme noir, je viens de recevoir de mon maître le connétable un papier que j’ai ordre de vous communiquer à l’instant.

— Un papier, murmura le vieillard, tandis qu’un grand frisson d’angoisse le secouait tout entier.

— Sire de Piennes, pénible est ma mission : ce papier que voici, c’est la copie d’un arrêt du Parlement de Paris en date d’hier, samedi 25 avril de cet an 1553.

-Un arrêt du Parlement ! exclama sourdement le seigneur de Piennes qui se dressa tout droit et croisa les bras. Parlez, monsieur. De quel nouveau coup