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de déborder le général allemand. Voyant le danger, celui-ci n’hésite pas à replier son aile droite et à déplacer son aile gauche, afin de se présenter de face à l’armée de Maunoury entre Mareuil-sur-Ourcq et la Ferté-Gaucher. Cette manœuvre marque le commencement de la dislocation de l’immense front allemand.

Nos soldats, aguerris par plus d’un mois de combats et de marches, confiants dans leurs chefs parce qu’ils n’ont subi jusqu’ici aucun de ces échecs capitaux qui démoralisent une troupe, se battent avec une ténacité inébranlable et s’efforcent de contraindre leurs élans tant que l’artillerie n’a pas déblayé le terrain. La région dans laquelle ils opèrent est parfaitement connue de leurs officiers ; elle évoque — tels les champs de Valmy, de Champeaubert, de Fère-Champenoise, de Montmirail — de vivants et glorieux souvenirs qui fortifient lé cœur, exaltent l’âme et encouragent un magnifique effort. L’engagement heureux qui a eu lieu le 5 sur le Grand Morin n’est qu’un incident de la formidable mêlée : il a eu toutefois pour conséquence de refouler la droite de l’armée allemande vers la Ferté-sous-Jouarre, première étape de la conversion.

Le lundi 7, la bataille se poursuit plus serrée ; elle ne prendra fin que le 13, divisée en une infinité de combats partiels, furieux, sanglants, qui constituent une des plus prestigieuses, une des plus émouvantes pages de notre histoire militaire.

C’est qu’en effet nos soldats ont en face d’eux des hommes entraînés à la guerre, pliés à une discipline de fer, qui ont reçu pour consigne de tenir coûte que coûte. Dans ces tendres et fraîches campagnes de France ils ont brûlé, saccagé, détruit tout ce qui gênait leurs mouvements : ils ont abattu les arbres séculaires, rasé les bois, creusé les champs, défoncé les routes, démoli les fermes pour établir leurs batteries et construire leurs tranchées.

Leurs mitrailleuses, bien que moins efficaces que nos 75, sont par leur nombre redoutables. L’artillerie lourde est très bruyante sans être très dangereuse : ses projectiles en tombant creusent un trou profond et soulèvent des mottes de terre qui font plus de peur que de mal.

Le plus souvent c’est à la pointe de la baïonnette que nos héroïques régiments se rendront maîtres des batteries allemandes : ils reculent, avançent, rampent sous la grêle implacable, comme à la manœuvre, dédaigneux du péril, indifférents à l’ouragan formidable dont le sol frémit jusque dans ses entrailles !

CHOSES VUES PENDANT LA BATAILLE

Que de « choses vues » inoubliables ; que d’anecdotes charmantes ou tragiques, touchantes ou douloureuses, cueillies, parmi les coquelicots et les luzernes, à travers ces champs de carnage !

A l’orée de la forêt de Villers-Cotterets, un détachement d’infanterie attend, genoux en terre, l’apparition de l’ennemi dont on vient de signaler l’approche : il s’agit de tenir, tant qu’on pourra, pour donner au régiment, resté à 10 kilomètres en arrière, le temps d’arriver. L’ennemi, de ses tranchées, ouvre le feu ; les nôtres ripostent, semant la mort là-bas. Mais voici que tout à coup une trombe de mitraille s’abat sur nos hommes : une batterie qui s’est dévoilée et à laquelle on ne s’attendait pas. La situation devient intenable : le capitaine est tué, les deux lieutenants s’affaissent, les hommes tombent, au bout d’un quart d’heure ceux qui restent se disposent à se replier.

Le seul gradé survivant, un sergent, accourt :

« Où allez-vous ? leur crie-t-il.

— Dame, sergent, on ne peux plus résister. »

Aussitôt il se place résolument devant la petite troupe, le dos aux canons qui crachent leur feu meurtrier.

« Le capitaine, qui est là, à nos pieds, a dit de se défendre jusqu’au bout. Je ne connais que la consigne : mort aux alboches et vive la France !

— Vive la France ! » reprennent cent voix : les soldats aussitôt remettent genoux en terre, chargent leurs fusils, tirent et ne bronchent plus jusqu’à l’arrivée des renforts.

Ailleurs, non loin de Château-Thierry, un détachement français travaille à une tranchée. La nuit tombe, le grondement du canon est encore lointain ; soudain des coups de feu éclatent ; là-bas, sur un mamelon, des « boches » viennent de se montrer ; on riposte ferme abattant d’une seule volée une trentaine d’Allemands.

Mais ils ont amené une mitrailleuse qu’ils mettent en position. la situation est critique. Au même instant des ombres surgissent à gauche. Un encerclement ? Le détachement se dispose à « arroser » ce nouvel adversaire, lorsqu’une voix retentit : « Ne tirez pas, France 312e ! » Bravo ! c’est du renfort. Dans la nuit noire nos hommes se rapprochent des ombres amies, lorsqu’à cinquante mètres une décharge les accueille.

Ils ont été lâchement trompés : ce « renfort » n’est autre qu’un régiment saxon. Rapidement on se replie sur un village voisin, poursuivis par les salves. Que faire ? Le