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venaient-ils ? on l’ignorait. Le flot montait dans le silence le plus absolu. Durant ces palpitantes heures d’angoisse et d’espoir, Paris ne sut rien du miracle que la volonté, que l’habileté des deux chefs préparaient fiévreusement. Il entendit un soir, sur le pavé de ses boulevards, le martellement d’innombrables sabots de chevaux, le rythme de pas cadencés, le roulement sonore de lourdes roues d’artillerie ; sous le disque d’une lune sanglante qui s’arrondissait derrière la coupole du Panthéon, il aperçut, remontant vers la zone de l’Est une. armée étrange et magnifique, enveloppée de burnous blancs, coiffée de turbans et de lez, et que suivaient des chariots, des caissons portant sur leurs flancs, entre deux branches de lauriers, ces noms évocateurs : Marrakech, Meknès, Fez. Sur cette multitude de visages bruns, de visages noirs, on lisait de l’impatience et de l’enthousiasme, des promesses d’exploits splendides et un suprême dédain de la mort.

Ces renforts, cette activité mystérieuse et ordonnée, suffirent à ramener la confiance de nos soldats qui se battaient depuis Charleroi, à ranimer leur ardeur, à exciter leur émulation. Le général von Kluck en fut-il informé ? Dut-il supposer, en trouvant brusquement en face de lui vingt mille hommes de troupes fraîches, que le général Galliéni — ce fut un trait de génie dépêcha dans des taxi-autos au devant des lignes allemandes, qu’ils étaient l’avant-garde d’une armée inattendue et puissante ? Ce qu’il y a de certain c’est que le 5, au lever du jour, le régiment allemand qui avait poussé jusqu’à Chantilly déguerpissait hâtivement du château où il s’était installé avant de poursuivre plus avant, et se repliait, après s’être fait ouvrir la grille du parc situé derrière les étangs, sur la route de Senlis, tandis qu’à l’Est les autres contingents remontaient dans la direction de Meaux et de Lizy-sur-Ourcq ou ils se retranchaient. L’attaque brusquée contre Paris était momentanément ajournée…

L’état-major allemand estimait qu’il était indispensable auparavant d’anéantir les armées françaises : et c’est à cet objectif qu’il allait consacrer tout son effort. Entre temps, le général Joffre, mettant à profit cet instant de flottement chez l’adversaire, le bref délai qu’il lui accordait, avait formé un front nouveau avec une régularité, une promptitude, une méthode et une logique qui demeureront un des plus beaux et des plus admirables modèles de science militaire !

UNE LUTTE QUI SERA DÉCISIVE.


Un aspect du champ de bataille : Détachement de cavalerie allemande fauché par un obus de notre 75. (Cliché Roi.)

D’un seul mouvement, avec une précision d’horlogerie, les six armées anglo-françaises s’étaient concentrées, déployées, retournées face à l’ennemi sur une étendue de 200 kilomètres partant du camp retranché de Paris pour aboutir sous les forts de Verdun. Une armée dite de « Paris », formée sous le commandement du général