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malheureux. Vous me direz, sans doute, qu’une semblable vie n’est appuyée sur iiul raisonnement et que, au bout du compte, ce n’est qu’une paresse incarnée. C’est peut-être vrai.

Oh ! combien j’envie votre position, mon Ami. Je sais que vous souffrez aussi ; mais votre douleur peut cesser, parce que vos désirs sont possibles et que la vie, ainsi que vous la voulez, est simple et douce. Vous êtes homme, vous ; moi, je ne suis et je ne serai jamais qu’un enfant, qui causera toujours beaucoup plus d’ennui qu’il n’en éprouvera. On a cherché et on cherche encore à jeter du ridicule sur ce bonheur intime et égoïste qu’on nomme le mariage, et pourtant je conçois parfaitement toutes les jouissances cachées qu’il réserve à ses élus. Puissiez-vous en être, un jour, mon cher Ami ; je vous le souhaite du profond de mon cœur. Oui, je vous le répète, vous êtes plus heureux que moi ; vous persévérerez ; votre bonheur à venir sera l’œuvre de votre volonté, tandis que je n’ai pas de but, pas de persévérance, pas de volonté, pas de pen-