Page:Leconte de Lisle - Premières Poésies et Lettres intimes, 1902.djvu/104

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
71
et lettres intimes




XVI


Rennes, janvier 1839.


UN SOUVENIR ET UN REGRET


Alors que ma jeunesse et ses jours indolents
S’écoulaient sur nos bords parfumés et brûlants,
Alors que je rêvais de gloire et de génie,
Parfois ce long repos assombrissait ma vie ;
Fuir mon doux ciel natal me semblait le bonheur.
Insensé ! De nos soirs le parfum enchanteur,
Les pleurs harmonieux des brisants sur nos rives,
Le chant des bengalis dans les palmes pensives,
L’aurore, de rayons dorant les monts géants,
Vers l’horizon en feu que déjà voilait l’ombre,
Le soir venu des cieux comme un roi grave et sombre,
Puis ce charme si doux d’un amour fraternel,
Ces parents chers et bons que m’accordait le Ciel,
Tous ces amis grandis à mon côté, doux frères,
Que je pleure parfois dans mes jours solitaires,
Bonheur de tout instant, charmes impérieux
N’enivraient point mon cœur désireux d’autres cieux.
Et pourtant, quand le bord de ma natale grève,
Dans la brume des mers se perdit comme un rêve,