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LE RUNOÏA.

J’ai vu que mieux valaient le vide et le silence !
Quand j’eus conçu l’enfant de ma toute-puissance,
L’homme, le roi du monde et le sang de ma chair,
Son crâne fut de plomb et son cœur fut de fer.
J’en jure les Runas, ma couronne et mon glaive,
J’ai mal songé le monde et l’homme dans mon rêve !

La porte aux ais de fer, aux trois barres d’airain,
Sur ses gonds ébranlés roule et s’ouvre soudain ;
Une femme, un enfant, dans la salle sonore
Entrent, enveloppés d’une vapeur d’aurore.
Les cheveux hérissés de colère, le Roi
Tord la bouche, et frémit sur son siège, l’effroi,
Comme un souffle incertain au noir monceau des nues,
Circule dans la foule en clameurs contenues.


LE RUNOÏA.


Chasseurs d’ours et de loups, debout, ô mes guerriers !
Écrasez cet enfant sous les pieux meurtriers ;
Jetez dans les marais, sous l’onde envenimée,
Ses membres encor chauds, sa tête inanimée…
Et vous, ô Runoïas, enchantez le maudit !

Mais l’Enfant, d’une voix forte et douce, lui dit :

— Je suis le dernier-né des familles divines,
Le fruit de leur sillon, la fleur de leurs ruines,
L’Enfant tardif, promis au monde déjà vieux,
Qui dormis deux mille ans dans le berceau des Dieux,