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LE BARDE DE TEMRAH.


Bientôt, dans la nuit morne, un jet rouge et puissant
Flamboie entre deux pans d’une tour solitaire ;
La fumée au-dessus roule en s’élargissant.

Un homme est assis là, sur un monceau de terre.
Le brasier l’enveloppe en sa chaude lueur ;
Sa barbe et ses cheveux couvrent sa face austère.

Muet, les bras croisés, il suit avec ardeur,
Les yeux caves et grands ouverts, un sombre rêve,
Et courbe son dos large, où saillit la maigreur.

Sur ses genoux velus étincelle un long glaive ;
Une harpe de pierre est debout à l’écart,
D’où le vent, par instants, tire une plainte brève.

L’Apôtre, auprès du feu, contemple ce vieillard :
— Je te salue, au nom du Rédempteur des âmes !
— Salut, enfant ! Demain tu serais venu tard.

Avant que ce foyer ait épuisé ses flammes,
Je serai mort : les loups dévoreront ma chair,
Et mon nom périra parmi nos clans infâmes.

— Vieillard ! ton heure est proche et ton cœur est de fer.
N’as-tu point médité le Dieu sauveur du monde ?
Braves-tu jusqu’au bout l’irrémissible Enfer ?