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LE BARDE DE TEMRAH.


La plume d’aigle au front, drapés de longues peaux,
Des guerriers tatoués poussent par la vallée
Des bœufs rouges pressés en farouches troupeaux.

Et leur rumeur mugit de cris rauques mêlée,
Et les cerfs, bondissant aux lisières des bois,
Cherchent plus loin la paix que ces bruits ont troublée.

Les hommes et les bœufs entourent à la fois
Le chariot roulant dans sa lenteur égale,
Et les mugissements se taisent, et les voix.

Et tous s’en vont, les yeux dardés par intervalle,
Ayant cru voir flotter comme un rayonnement
Autour de l’Étranger mystérieux et pâle.

Puis les rudes bergers et le troupeau fumant
Disparaissent. Leur bruit dans la forêt s’enfonce
Et sous les dômes verts s’éteint confusément.

Sur une âpre hauteur que hérisse la ronce,
Parmi des blocs aigus et d’épais rochers plats,
Deux vieillards sont debout, dont le sourcil se fronce.

Ils regardent d’un oeil plein de sombres éclats
Venir ce voyageur humble, faible et sans crainte,
Qu’au détour du coteau traînent deux buffles las.