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LA VISION DE SNORR.


Et ceux qui, sur l’autel où nous vous adorons,
Ont déchiré la nappe et bu dans vos calices
Et sur vos serviteurs fait pleuvoir les affronts

Qui nous ont enterrés, vivants, dans nos cilices,
Qui de la sainte étole ont serré notre cou,
Pour ceux-là le Malin épuise les supplices.

Enfin, je vois le Peuple antique, aveugle et fou,
La race qui vécut avant votre lumière,
Seigneur ! et qui marchait, hélas ! sans savoir où.

Tels qu’un long tourbillon de vivante poussière
Le même vent d’erreur les remue au hasard,
Et le soleil du Diable éblouit leur paupière.

Or, vous nous avez fait, certes, la bonne part,
A nous qui gémissons sur cette terre inique ;
Mais pour les anciens morts vous êtes venu tard !

Donc, chacun porte au front une lettre Runique
Qui change sa cervelle en un charbon fumant,
Car il n’a point connu la loi du Fils unique !

Ainsi, gêne sur gêne et tourment sur tourment,
Carcans de braise, habits de feu, fourches de flammes,
Tout cela, tout cela dure éternellement.