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EKHNIDA.


Tant que la flamme auguste enveloppait les bois,
Les sommets, les vallons, les villes bien peuplées,
Et les fleuves divins et les ondes salées,
Elle ne quittait point l’antre aux âpres parois ;

Mais dès qu’Hermès volait les flamboyantes vaches
Du fils d’Hypérion baigné des flots profonds,
Ekhidna, sur le seuil ouvert au flanc des monts,
S’avançait, dérobant sa croupe aux mille taches.

De l’épaule de marbre au sein nu, ferme et blanc
Tiède et souple abondait sa chevelure brune ;
Et son visage clair luisait comme la lune,
Et ses lèvres vibraient d’un rire étincelant.

Elle chantait : la nuit s’emplissait d’harmonies ;
Les grands lions errants rugissaient de plaisir ;
Les hommes accouraient sous le fouet du désir,
Tels que des meurtriers devant les Érinnyes :

— Moi, l’illustre Ekhidna, fille de Khrysaor,
Jeune et vierge, je vous convie, ô jeunes hommes !
Car ma joue a l’éclat pourpré des belles pommes,
Et dans mes noirs cheveux nagent des lueurs d’or.

Heureux qui j’aimerai, mais plus heureux qui m’aime !
Jamais l’amer souci ne brûlera son cœur ;
Et je l’abreuverai de l’ardente liqueur
Qui fait l’homme semblable au Kronide lui-même.