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POÈMES BARBARES.


Un air impur étreint le globe dépouillé
Des bois qui l’abritaient de leur manteau sublime ;
Les monts sous des pieds vils ont abaissé leur cime ;
Le sein mystérieux de la mer est souillé.

Les Ennuis énervés, spectres mélancoliques,
Planent d’un vol pesant sur un monde aux abois ;
Et voici qu’on entend gémir comme autrefois
L’Ecclésiaste assis sous les cèdres bibliques.

Plus de transports sans frein vers un ciel inconnu,
Plus de regrets sacrés, plus d’immortelle envie !
Hélas ! des coupes d’or où nous buvions la vie
Nos lèvres ni nos cœurs n’auront rien retenu !

Ô mortelles langueurs, ô jeunesse en ruine,
Vous ne contenez plus que cendre et vanité !
L’amour, l’amour est mort avec la volupté ;
Nous avons renié la passion divine !

Pour quel dieu désormais brûler l’orge et le sel ?
Sur quel autel détruit verser les vins mystiques ?
Pour qui faire chanter les lyres prophétiques
Et battre un même cœur dans l’homme universel ?

Quel fleuve lavera nos souillures stériles ?
Quel soleil, échauffant le monde déjà vieux,
Fera mûrir encor les labeurs glorieux
Qui rayonnaient aux mains des nations viriles ?