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POÈMES BARBARES.

Qui voguait, haut et rude, et, crevant les nuées,
Rejetait en plein ciel leurs masses refluées.
Les monts resplendissaient comme de grands falots
Allumés par d’épais brouillards ; et, sur les flots
De la mer, une rouge et furieuse écume
Sautait avec le bruit de l’eau qui bout et fume ;
Et les plaines, où sont les villes, les hameaux,
Fleuves et lacs, et l’homme et tous les animaux,
Avec la multitude innombrable des plantes,
S’épandaient sous mes yeux, humides et sanglantes ;
Et j’ai cru voir le jour, dès longtemps résolu,
Où viendra de l’abîme un astre chevelu,
Horrible, qui fera de la terre une braise,
Et puis un peu de cendre au fond de la fournaise !

Seigneur ! Ce n’était pas la suprême clarté
Qui doit flamber au seuil de notre éternité ;
Ce n’était pas le jour des tardives détresses,
Ni le clairon d’appel aux âmes pécheresses,
Ni Josaphat ployant sous la foule des morts,
Effroyable moisson d’inutiles remords ;
C’était, grâce à Satan qui l’allume et l’amène,
L’ordinaire soleil dont luit la race humaine !

Or, voici que j’ai vu le monde, comme un pré
Immense, qui grouillait sous ce soleil pourpré,
Plein d’hommes portant heaume et cotte d’acier, lance,
Masse d’armes et glaive, engins de violence