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POÈMES BARBARES.

Et, de là, regardant, au travers des nuées,
Les cimes de la terre en bas diminuées,
J’ai vu, par il perçant de cette vision,
L’empire d’Augustus et l’antique Sion ;
Et, dans l’immense nuit de ces temps, nuit épaisse
Où s’ensevelissait toute l’humaine espèce
Comme un agonisant qui hurle en son linceul,
J’ai vu luire un rayon éblouissant, un seul !
Et c’était, entre l’âne et le bœuf à leur crèche,
Un enfant nouveau-né sur de la paille fraîche :
Chair neuve, âme sans tâche, et, dans leur pureté,
Étant comme un arôme et comme une clarté !

Le Père à barbe grise et la Mère joyeuse
Saluaient dans leur cœur cette aube radieuse,
Ce matin d’innocence après la vieille nuit,
Apaisant ce qui gronde et charmant ce qui nuit ;
Cette lumière à peine éclose et d’où ruisselle
L’impérissable Vie avec chaque étincelle !
Et les Bergers tendaient la tête pour mieux voir ;
Et j’ai soudainement ouï par le ciel noir,
Tandis que les rumeurs d’en bas semblaient se taire,
Une voix dont le son s’épandit sur la terre,
Mais douce et calme, et qui disait : Emmanoël !
Et l’espace et le temps chantaient : Noël ! Noël !
Puis, comme les trois Rois survenus de Palmyre
Offraient au bel Enfant l’encens, l’or et la myrrhe,
J’ai vu, toute ma chair étant blême d’effroi,