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POÈMES BARBARES.


Comme les sombres flots contre un haut promontoire,
Cap céleste, tu vois les siècles furieux
S’écrouler en écume au gouffre expiatoire,
Sitôt qu’ils ont touché tes pieds mystérieux !

Car tu germais au fond des temps que Dieu domine,
Aux entrailles de l’âme humaine enraciné !
Et, pour jaillir un jour, la volonté divine
Te conçut bien avant que le monde fût né !

Que te font, Roc sacré, vers qui volent les âmes,
Les aveugles assauts des peuples et des rois ?
Plus épaisse est leur nuit, plus vives sont tes flammes !
Leurs ongles et leurs dents s’usent à tes parois.

Et quand, plein de fureurs, de stupides huées,
Tout l’Enfer t’escalade en légions de feu,
S’il monte, tu grandis par delà les nuées,
Jusqu’aux astres, jusqu’aux Anges, jusques à Dieu !

Du sang des bienheureux mille fois arrosée,
Cime accessible à l’humble et terrible au pervers,
La fleur des trois Vertus éclôt sous ta rosée,
Et d’un triple parfum embaume l’univers !

Ô Saint-Siège romain, maître unique et seul juge,
Tel qui croit t’outrager avec impunité,
Serf ou César, n’a plus, mort ou vif, de refuge :
Dieu le frappe en ce monde et dans l’éternité ! —