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POÈMES BARBARES.


Le souci d’un pouvoir immense et légitime
L’enveloppe. Il se sent rigide, dur, haï.
Il est tel que Moïse, après le Sinaï,
Triste jusqu’à la mort de sa tâche sublime.

Rongé du même feu, sombre du même ennui,
Il savoure à la fois sa gloire et son supplice,
Et couvre l’univers d’un pan de son cilice.
Ce moine croit. Il sait que le monde est à lui.

Son siècle étant féroce et violent, mais lâche,
Ayant moins de souci du ciel que de l’enfer,
Il ne le mène point par la corde et le fer :
Sa malédiction frappe mieux que la hache.

Seul, outragé, proscrit, errant au fond des bois,
Il parle, et tout se tait. Les fronts deviennent pâles.
Il sèche avec un mot les sources baptismales
Et fait hors du tombeau blanchir les os des rois.

La salle est large et basse ; un jour terne l’éclaire.
Au dehors neige et vent heurtent les durs vitraux.
Le silence au dedans, où, sur onze escabeaux,
Des prélats sont assis en rang mi-circulaire.

Ceux-ci, sous un étroit capuchon rouge et noir,
Et leurs robes couvrant leurs souliers jusqu’aux pointes,
Immobiles, les yeux fixes et les mains jointes,
Semblent ne rien entendre et semblent ne rien voir.