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L’ACCIDENT DE DON IÑIGO.

Voyant un tel orgueil, en a l’âme indignée.
Or, il pique des deux, et, dressé sur l’arçon,
Fait à Rui De Vivar âprement la leçon,
D’un geste violent et bref, à pleine gorge,
Et il plus allumé qu’un charbon dans la forge :


— À bas ! À bas, don Rui ! C’est votre tour. Vrai Dieu !
Ce cadet se croit-il issu de trop bon lieu
Pour faire ce que fait, sans regret ni grimace,
Tout Riche-homme portant bannière, épée et masse,
Possédant vassaux, terre, honneurs et droits entiers ?
Sait-il, ce détrousseur de gens, fils de routiers,
Si n’était notre Sire et sa miséricorde,
Qu’on ne lui doit, en toute équité, qu’une corde,
Ou qu’un vil couperet pour lui scier le cou ?
À bas ! Ne tranchez pas du hautain et du fou,
Parce qu’impunément, soit dit à notre honte,
Vous avez, d’aventure, occis le vaillant Comte
Lozano, qui fut, certe, un des meilleurs soutiens
De Castille et de Dieu parmi les Vieux chrétiens.
Pour vous, êtes-vous pas More ou Juif, ou peut-être
Hérétique ? À coup sûr, du moins, menteur et traître.
C’est assez d’arrogance et trop d’actes félons :
Faites qu’on vous dédaigne et vous oublie. Allons !
Il est grand temps. Sinon, par la Vierge et le Pape !
Aussi vrai qu’on me nomme Iñigo, je vous happe
À la jambe, et vous traîne à travers les cailloux
Pour supplier sa Grâce et baiser ses genoux. —