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POÈMES BARBARES.


Puis, de tous les côtés de la terre, un murmure
Encore inentendu, vague, innommable, emplit
L’espace, et le fracas d’en haut s’ensevelit
Dans celui-là. La Mer, avec sa chevelure
De flots blêmes, hurlait en sortant de son lit.

Elle venait, croissant d’heure en heure, et ses lames,
Toutes droites, heurtaient les monts vertigineux,
Ou, projetant leur courbe immense au-dessus d’eux,
Rejaillissaient d’en bas vers la nuée en flammes,
Comme de longs serpents qui déroulent leurs nœuds.

Elle allait, arpentant d’un seul repli de houle
Plaines, vallons, déserts, forêts, toute une part
Du monde, et les cités et le troupeau hagard
Des hommes, et les cris suprêmes, et la foule
Des bêtes qu’aveuglaient la foudre et le brouillard.

Hérissés, et trouant l’air épais, en spirale,
De grands oiseaux, claquant du bec, le col pendant,
Lourds de pluie et rompus de peur, et regardant
Les montagnes plonger sous la mer sépulcrale,
Montaient toujours, suivis par l’abîme grondant.

Quelques sombres Esprits, balancés sur leurs ailes,
Impassibles témoins du monde enseveli,
Attendaient pour partir que tout fût accompli,
Et que sur le désert des Eaux universelles
S’étendît pesamment l’irrévocable oubli.