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LE CORBEAU.

Et je m’y vins percher sur un grand cèdre noir,
D’où je pouvais planer dans l’espace et mieux voir.
Et j’attendis trois jours avec trois nuits entières.
Et le soleil encore épandit ses lumières,
Et je vis que la mer, reprenant son niveau,
Avait laissé renaître un univers nouveau,
Mais vide, tout souillé des écumes marines,
Et comme hérissé d’effroyables ruines.
Au bas de la montagne où j’étais arrêté,
Dormait dans la vapeur une énorme cité
Aux murs de terre rouge étagés en terrasses
Et bâtis par le bras puissant des vieilles races.
Écroulés sous le faix des flots démesurés,
Ces murs avaient heurté ces palais effondrés
Où les varechs visqueux, emplis de coquillages,
Pendant le long des toits comme de noirs feuillages,
Au travers des plafonds tombaient par blocs confus,
Enlacés en spirale épaisse autour des fûts,
Et faisant des manteaux de limons et de fanges
Aux cadavres géants des Rois, enfants des Anges.
Et j’en vis deux, seigneur abbé, debout encor
Sur un trône, et liés avec des chaînes d’or :
Un homme au front superbe, à la haute stature,
Qui, de ses bras nerveux, comme d’une ceinture,
Pressait contre son sein une femme aux grands yeux
Qui semblait contempler son amant glorieux ;
Et je lus sur sa bouche entr’ouverte et glacée
Le bonheur de mourir par ces bras enlacée.
Lui, le cou ferme et droit, dompté, mais non vaincu,