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LE CORBEAU.

Est morte, l’âme au ciel ouvre une aile invisible.
De sa grâce, aussi bien, Dieu ne t’a point pourvu
Pour voir ce que les Saints et les Anges ont vu :
Les esprits, dans l’azur, comme autant de colombes,
Au soleil éternel tournoyant hors des tombes !
Et c’est la vérité. — Pour moi, dit le Corbeau,
J’en doute fort, n’ayant point reçu ce flambeau.
Ainsi soit-il ! pourtant, si la chose est notoire.
Mais vous plaît-il d’ouvrir l’oreille à mon histoire,
Seigneur, et de m’entendre en ma confession ?
J’ai, ce soir, grand besoin d’une absolution.
— J’écoute, dit le Moine. Heureux qui s’humilie,
Car le vrai repentir nous lave et nous délie,
Et réjouit le cœur des Anges dans les cieux !
— Je le prends de très haut, mon Maître, étant très vieux :




En ce temps-là, seigneur Abbé, l’Eau solitaire
Avait noyé la race humaine avec la terre,
Et, par delà le faîte escaladé des monts,
Haussait jusques au ciel sa bave et ses limons.
Ce fut le dernier jour des rois et des empires
Antiques. S’ils étaient meilleurs, s’ils étaient pires
Que ceux-ci, je ne sais. Leurs vertus ou leurs torts
Importent peu d’ailleurs du moment qu’ils sont morts.
— Ils étaient fort pervers, dit le Moine, et leur Juge
Les noya justement dans les eaux du Déluge.
C’était un monde impie, où, grâce au Suborneur,