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POÈMES BARBARES.


Thogorma vit alors la famille innombrable
Des fils d’Hénokh emplir, dans un fourmillement
Immense, palais, tours et murs, en un moment ;
Et, tous, ils regardaient l’ancêtre vénérable,
Debout, et qui rêvait silencieusement.

Et les bêtes poussaient leurs hurlements de haine,
Et l’étalon, soufflant du feu par les naseaux,
Broyait les vieux palmiers comme autant de roseaux,
Et le grand Cavalier gardien de la Géhenne
Mêlait sa clameur âpre aux cris des animaux.

Mais l’Homme violent, du sommet de son aire,
Tendit son bras noueux dans la nuit, et voilà,
Plus haut que ce tumulte entier, comme il parla
D’une voix lente et grave et semblable au tonnerre,
Qui d’échos en échos par le désert roula :

— Qui me réveille ainsi dans l’ombre sans issue
Où j’ai dormi dix fois cent ans, roide et glacé ?
Est-ce toi, premier cri de la mort, qu’a poussé
Le Jeune Homme d’Hébron sous la lourde massue
Et les débris fumants de l’autel renversé ?

Tais-toi, tais-toi, sanglot, qui montes jusqu’au faîte
De ce sépulcre antique où j’étais étendu !
Dans mes nuits et mes jours je t’ai trop entendu.
Tais-toi, tais-toi, la chose irréparable est faite.
J’ai veillé si longtemps que le sommeil m’est dû.