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LA FORÊT VIERGE.


Les étés flamboyants sur elle ont resplendi,
Les assauts furieux des vents l’ont secouée,
Et la foudre à ses troncs en lambeaux s’est nouée ;
Mais en vain : l’indomptable a toujours reverdi.

Elle roule, emportant ses gorges, ses cavernes,
Ses blocs moussus, ses lacs hérissés et fumants
Où, par les mornes nuits, geignent les caïmans
Dans les roseaux bourbeux où luisent leurs yeux ternes ;

Ses gorilles ventrus hurlant à pleine voix,
Ses éléphants gercés comme une vieille écorce,
Qui, rompant les halliers effondrés de leur force,
S’enivrent de l’horreur ineffable des bois ;

Ses buffles au front plat, irritables et louches,
Enfouis dans la vase épaisse des grands trous,
Et ses lions rêveurs traînant leurs cheveux roux
Et balayant du fouet l’essaim strident des mouches ;

Ses fleuves monstrueux, débordants, vagabonds,
Tombés des pics lointains, sans noms et sans rivages,
Qui versent brusquement leurs écumes sauvages
De gouffre en gouffre avec d’irrésistibles bonds.

Et des ravins, des rocs, de la fange, du sable,
Des arbres, des buissons, de l’herbe, incessamment
Se prolonge et s’accroît l’ancien rugissement
Qu’a toujours exhalé son sein impérissable.