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LES CLAIRS DE LUNE.

Et voici qu’une mer d’ombre, par gerbes noires,
Contre les bords rongés du hideux continent
S’écrase, furieuse, et troue en bouillonnant
Le blême escarpement des rugueux promontoires.
Jusqu’au faîte des pics elle jaillit d’un bond,
Et, sur leurs escaliers versant ses cataractes,
Écume et rejaillit, hors des gouffres sans fond,
Dans l’espace aspergé de ténèbres compactes.
Et de ces blocs disjoints, de ces lugubres flots,
De cet écroulement horrible, morne, immense,
On n’entend rien sortir, ni clameurs ni sanglots
Le sinistre univers se dissout en silence.
Mais la Terre, plus bas, qui rêve et veille encor
Sous le pétillement des solitudes bleues,
Regarde en souriant, à des milliers de lieues,
La lune, dans l’air pur, tendre son grand arc d’or.


II


Au plus creux des ravins emplis de blocs confus,
De flaques d’eau luisant par endroits sous les ombres,
La lune, d’un trait net, sculpte les lignes sombres
De vieux troncs d’arbres morts roides comme des fûts.

Dans les taillis baignés de violents aromes
Qu’une brume attiédie humecte de sueur,
Elle tombe, et blanchit de sa dure lueur
Le sentier des lions chasseurs de bœufs et d’hommes.