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POÈMES BARBARES.

Et vautre, dans les joncs rigides qu’il écrase,
Son ventre rose et gras tout cuirassé de vase.
Autour des flaques d’eau saumâtre où les chakals
Par bandes viennent boire, en longeant les nopals,
L’aigu fourmillement des stridentes bigaylles
S’épaissit et tournoie au-dessus des broussailles ;
Tandis que, du désert en Nubie emporté,
Un vent âcre, chargé de chaude humidité,
Avec une rumeur vague et sinistre, agite
Les rudes palmiers-doums où l’ibis fait son gîte.

Voici ton heure, ô roi du Sennaar, ô chef
Dont le soleil endort le rugissement bref.
Sous la roche concave et pleine d’os qui luisent,
Contre l’âpre granit tes ongles durs s’aiguisent.
Arquant tes souples reins fatigués du repos,
Et ta crinière jaune éparse sur le dos,
Tu te lèves, tu viens d’un pas mélancolique
Aspirer l’air du soir sur ton seuil famélique,
Et, le front haut, les yeux à l’horizon dormant,
Tu regardes l’espace et rugis sourdement.
Sur la lividité du ciel la lune froide
De la proche oasis découpe l’ombre roide,
Où, las d’avoir marché par les terrains bourbeux,
Les hommes du Darfour font halte avec leurs bœufs.
Ils sont couchés là-bas auprès de la citerne
Dont un rayon de lune argente l’onde terne.
Les uns, ayant mangé le mil et le maïs,
S’endorment en parlant du retour au pays ;