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LE CONSEIL DU FAKIR.


Mais il aime, et voici, tel qu’aux jours d’autrefois,
Qu’il sent courir en lui, chauffant sa rude écorce,
Le sang de sa jeunesse et le sang de sa force.


VI


La nuit monte et saisit dans ses filets en feu
Les mers, les bois épais, les montagnes, les nues ;
Des milliers de rumeurs du désert seul connues
S’envolent puissamment de la terre au ciel bleu.

L’homme dort. Le sommeil est doux et coûte peu ;
Les belles visions y sont les bienvenues,
Dit le sage, on y voit danser, vierges et nues,
Les Hûris aux yeux noirs qui devancent tout vœu !

Donc, Mohammed repose au fond du palais sombre.
La blafarde clarté d’une lampe d’argent
Détache vaguement son front blême de l’ombre.

Le sang ne coule plus de sa gorge ; et, nageant,
Au milieu d’une pourpre horrible et déjà froide,
Le corps du vieux Nabab gît immobile et roide.